Traditionnellement, le Ve siècle est considéré comme celui de l’apogée d’Athènes, sortie grandie des guerres médiques. La démocratie est définitivement établie avec les réformes d’Ephialte et la cité, à la tête de la puissante ligue de Délos, exerce sa domination sur l’ensemble du monde égéen. Pourtant, le « siècle de Périclès » ne dure que quelques décennies et se termine par la guerre du Péloponnèse, source de grands bouleversements. « Ce fut bien la plus grande crise qui émut la Grèce et une fraction du monde barbare; elle gagna pour ainsi dire la majeure partie de l’humanité » écrit Thucydide à son propos.
Cette guerre est la résultante de la montée des tensions entre une Athènes en pleine expansion, et la puissante cité de Sparte, à la tête de la ligue du Péloponnèse.
Les origines de la guerre (478-431)
La ligue de Délos
Athènes sort renforcée des guerres médiques et opte pour une stratégie maritime: les Perses dominent encore les îles de l’Egée. La cité fonde en 478 une ligue défensive avec ses alliés, pour se protéger contre une éventuelle nouvelle offensive des Perses : la ligue de Délos. Les cités faisant partie de cette ligue doivent contribuer soit en nature (bateaux et marins), soit en argent (le phoros). La ligue est fondée sur une base égalitaire (au Conseil, chaque cité dispose d’une voix), volontaire, et son trésor est déposé sur l’île de Délos.
Cependant, les objectifs initiaux vont être rapidement dévoyés. La ligue de Délos va devenir l’instrument de l’impérialisme athénien. Athènes commence d’abord à envoyer des colons et des garnisons, dès 476, vers une partie des cités de la ligue, afin d’y renforcer son emprise. Partie d’une base volontaire, la ligue va évoluer vers la contrainte (le Conseil finit par être supprimé). Ainsi, à Thasos, une île au nord de la mer Egée, les habitants souhaitent en 465 se retirer de la ligue. Une dure répression est menée contre la cité rebelle : en 463 les Thasiens sont écrasés, leurs remparts sont détruits, la flotte confisquée. La cité est contrainte de payer une forte indemnité et de rester dans la ligue.
En 454, le trésor entreposé à Délos est transféré sur l’Acropole d’Athènes, les Athéniens n’hésiteront pas à y puiser comme bon leur semble. Cela va permettre à Athènes de mettre en place une série de grands chantiers destinée à affermir son prestige. Les tentatives de sécession se multiplient et les ingérences d’Athènes deviennent de plus en plus prégnantes. La montée en puissance d’Athènes suscite des inquiétudes du côté de Sparte. La Pentécontaétie (50 ans : 480-430) voit la montée des tensions entre les deux cités.
Durant cette période de cinquante ans, la paix est signée avec les Perses en 448 (paix de Callias) : l’Egée devient un lac athénien. En 446 est signée une paix de 30 ans avec Sparte, mais la Grèce est alors bipolarisée. En dépit de cette paix, dès 435 la guerre se prépare.
Le déclenchement de la guerre
A partir de 435, les accrochages se multiplient entre les deux cités rivales ayant du mal à cohabiter dans le monde grec.
En 433, Corcyre, colonie de Corinthe, se révolte contre sa métropole. Après une écrasante victoire de Corcyre, Corinthe, faisant partie de la ligue du Péloponnèse, prépare sa revanche. Les Corcyréens appellent à l’aide Athènes qui, après un débat devant l’ecclesia, envoie un corps expéditionnaire qui ne peut cependant empêcher Corcyre de subir une lourde défaite en septembre 433. Athènes, pour avoir secouru Corcyre, est accusé d’avoir violé la paix de trente ans.
La même année, Potidée, colonie de Corinthe, faisant partie de la ligue de Délos, se révolte contre Athènes. Athènes met le siège devant la cité, entraînant l’arrivée d’un corps expéditionnaire corinthien. De fait, Corinthe (alliée de Sparte) et Athènes se retrouvent en état de guerre.
En 432, la ligue du Péloponnèse se réunit à Sparte et déclare la guerre à la ligue de Délos. Le peuple athénien est quant à lui hésitant. En 431, Périclès parvient à le convaincre de déclarer à son tour les hostilités. Le conflit est déclenché.
La guerre jusqu’à la paix de Nicias (431-421)
L’échec de la stratégie de Périclès
Athènes est essentiellement une puissance maritime : la flotte comprend alors 300 trières prêtes à prendre la mer. En outre, Athènes dispose d’une armée terrestre d’environ 30 000 hommes. A côté, la ligue du Péloponnèse ne possède pas de véritable flotte de guerre mais peut aligner une armée terrestre d’au minimum 40 000 hoplites. Périclès considère que les athéniens ne peuvent pas faire face à une offensive terrestre et décide donc le repli dans la cité. Il compte jouer sur la supériorité maritime et opte dans un premier temps pour une stratégie défensive. La population de la campagne se réfugie dans la ville, abandonnant l’Attique aux Spartiates qui ne tardent pas à l’envahir. Cependant, vers 430-429 éclate une épidémie de peste à Athènes du fait de la proximité des habitants. Périclès meurt lui-même en 429. C’est une catastrophe terrible sur le plan humain et moral, les Athéniens perdant leur chef charismatique et n’ayant pas vu sans déplaisir les Péloponnésiens ravager l’Attique.
De la mort de Périclès à la prise de Sphactérie
Les deux années suivant la mort de Périclès sont marquées par de graves difficultés pour Athènes. Tandis que les Péloponnésiens occupent l’Attique en 428, des forces sont envoyées contre la cité de Platées, alliée traditionnelle d’Athènes, qui tombe deux ans plus tard. Face aux difficultés, les défections se multiplient. Mytilène et les principales cités de l’île de Lesbos décident de quitter la ligue de Délos, entraînant une expédition punitive athénienne faisant capituler la ville en 427. Les murs sont rasés, un millier d’hommes massacrés et la flotte est confisquée. A cette occasion, le démagogue Cléon apparaît sur la scène politique et s’y impose. Il rejette toute idée de négociation avec Sparte.
En 426, le conflit se déplace vers la Sicile. Les Athéniens y envoient une flotte pour s’opposer à Syracuse, alliée de Sparte, et créer une diversion. En 425, une seconde expédition est envoyée sous la conduite de Démosthène pour renforcer la première. L’offensive en Sicile s’avère être un échec et vide un peu plus le trésor d’Athènes. En raison des difficultés, le tribut exigé par Athènes à ses alliés est triplé, provoquant le mécontentement des alliés.
L’année 425 est néanmoins marquée par un succès athénien: le stratège Démosthène parvient à enfermer 420 hoplites spartiates dans l’île de Sphactérie. Sous la menace de mettre à mort les hoplites, Athènes obtient le renoncement des Péloponnésiens à envahir l’Attique, comme ils l’avaient fait chaque printemps depuis le début de la guerre.
La paix de Nicias
En 424 sur la côte thrace, une armée péloponnésienne sous la conduite du spartiate Brasidas assiège Amphipolis qui tombe durant l’hiver 424/423. Cléon, élu stratège en 422, entreprend de reprendre la cité. Il lui trouve face à lui Brasidas et, suite à un affrontement, les deux généraux trouvent la mort.
A Athènes, la population est lasse de la guerre et la mort de Cléon permet la victoire des partisans de la paix. Sparte est également éprouvée par le conflit. C’est ainsi qu’une paix, censée durer 50 ans, est conclue au printemps 421. Du côté athénien, le principal négociateur est Nicias (d’où le nom de la paix). Cependant, la paix n’engage alors qu’Athènes et ses alliés face à Sparte. Béotiens, Corinthiens, Mégariens restent en état de guerre. La paix va se révéler de courte durée.
La reprise et la fin de la guerre (421-404)
La rupture de la paix et l’expédition de Sicile
Après la mort de Cléon, Alcibiade est le nouveau venu sur la scène politique athénienne. Séduisant, intelligent, il parvient à gagner une influence incontestable sur le démos. Sans que la paix ne soit rompue, les décisions d’Alcibiade entraînent un affrontement entre Athéniens et Spartiates à la bataille de Mantinée (418), les premiers aux côtés des Argiens, les seconds des habitants d’Epidaure.
En 416, les Méliens, alliés d’Athènes, décident un rapprochement avec Sparte. Les Athéniens réagissent immédiatement en envoyant une expédition militaire. Les Athéniens s’emparent de la cité, mettent à mort tous les hommes et réduisent les femmes et enfants en servitude afin de lancer un signal fort aux autres cités tentées de se rebeller.
En 415, sous l’influence d’Alcibiade, Athènes lance dans l’enthousiasme une expédition en Sicile. Alors que le départ se prépare, un événement aux graves conséquences se produit: quelques jours avant l’expédition, on découvre tous les phallus mutilés sur les Hermès (grosses colonnes de pierre surmontées de la tête du dieu et ornées d’un phallus): c’est un sacrilège. En 414, Alcibiade est reconnu coupable de la mutilation des Hermès et s’enfuit à Sparte. L’expédition en Sicile a néanmoins lieu. Au printemps 414, Nicias et Lamachos menacent Syracuse. Les Athéniens sont repoussés par Gylippe, et Lamachos trouve la mort au cours d’un accrochage. Des renforts sont envoyés sous le commandement de Démosthène qui tente de donner l’assaut à la ville: c’est un échec. Démosthène décide de rembarquer, décision à laquelle s’oppose Nicias, sous prétexte d’une éclipse de lune tenue pour un mauvais présage. Les Syracusains en profitent alors pour attaquer la flotte athénienne, détruisant une partie des navires. Les forces terrestres (40 000 Athéniens et alliés) sont capturées et massacrées ou vendues comme esclaves. L’expédition est un désastre.
Athènes au lendemain du désastre de Sicile
A partir de 413, les Spartiates occupent en permanence le sol de l’Attique, pouvant le ravager systématiquement. Les mines et ateliers du Laurion qui fournissaient un revenu important à Athènes sont capturés par l’ennemi et une grande partie de la flotte est détruite. La situation est particulièrement dramatique pour Athènes. Les défections se multiplient au sein de la ligue de Délos.
De son côté Sparte fait appel aux Perses financièrement; en contrepartie, ils s’engagent à leur abandonner toutes les cités grecques faisant partie de la ligue de Délos en Asie mineure.
En 411, Alcibiade rentre à Athènes et suscite une révolution oligarchique. Il souhaite revenir à une démocratie modérée sur le modèle de Solon. Le corps des citoyens est réduit à 5000 et le Conseil des 500 (boulè) à 400 magistrats élus. La révolution ne dure pas: le petit peuple de l’armée (les marins), mené par Thrasybule, s’oppose aux réformes. Un compromis est trouvé: le corps des citoyens est fixé à 9000, l’Assemblée populaire reste en place, le Conseil reste à 500.
La fin de la guerre et ses conséquences
En 407, après une série de victoires, Alcibiade revient à Athènes auréolé par la gloire. L’engouement va être de courte durée. Les Spartiates soutenus par les Perses mènent une contre-offensive: la bataille navale de Notion (407) aboutit à une défaite athénienne. Athènes remporte la victoire navale d’Arginuses (406) mais un procès est intenté aux généraux vainqueurs pour n’avoir pas pu recueillir les équipages des navires athéniens coulés. En 405, la flotte athénienne est écrasée au large d’Aigos Potamos et les Spartiates atteignent le Pirée, port d’Athènes. Athènes maintenant acculée et privée de ravitaillement est contrainte de traiter avec Sparte. En 404, au terme des négociations, Athènes capitule. Ses Longs Murs, symbole de sa puissance, sont détruits, le reste de la flotte est remise à Sparte, toutes les colonies sont abandonnées, la ligue de Délos est dissoute et Athènes est contrainte de rejoindre l’alliance spartiate.
La démocratie, tenue responsable de la défaite, est mise au centre de toutes les accusations. Une révolution s’opère: le boulè est destitué et remplacé par une commission de 30 personnes chargées de redresser la Constitution et restaurer les lois ancestrales. Critias est l’homme le plus puissant parmi ces oligarques. Le régime des 30 tyrans se met en place. Le corps des citoyens est réduit à 3000 et une dure répression est mise en place contre les opposants politiques.
Les démocrates se réunissent atour de Thrasybule, qui a pu s’enfuir à Thèbes. A la tête d’une armée et soutenu par une grande partie de la population, il parvient en 403 à rétablir la démocratie à Athènes. Critias est tué et les Trente s’enfuient à Eleusis. Le procès de Socrate en 399, accusé de perturber la jeunesse, finit de clore une période troublée.
Après le rétablissement de la démocratie par Thrasybule, l’unité de la cité d’Athènes est restaurée. Cependant, la ville en elle-même fait piètre figure: privée de ses murailles, d’une grande partie de sa flotte, entourée de territoires ravagées et de mines quasiment abandonnées, elle n’a plus rien en commun avec la puissante Athènes vantée par Périclès. La cité de Sparte sort vainqueur de la guerre, mais au prix de lourdes pertes. Les autres cités ont également fortement souffert. C’est une Grèce divisée, appauvrie et menacée qui sort de cette guerre constituant un tournant fondamental dans l’histoire de la Grèce à l’époque classique.
Bibliographie :
Baslez, Marie-Françoise. Histoire politique du monde grec antique. Armand Colin, 2004.
Mossé, Claude ; Schnapp-Gourbeillon, Annie. Précis d’histoire grecque. Armand Colin, 2003.