C’est un système légicentriste que la Révolution lègue à la France. Souveraine, la loi seule peut contraindre parce qu’expression de la volonté générale. Mais depuis la fin du XXe siècle, le droit s’écarte de la loi. Celle-ci est concurrencée par les outils législatifs de l’exécutif (décrets et ordonnances) et contrôlée par le Conseil Constitutionnel. Elle est aux prises avec le droit de l’Union Européenne. Sa clarté diminue, du fait notamment de l’inflation législative. Ce déclin suscite des inquiétudes quant à l’avenir de la démocratie.
Sous l’Antiquité.
Sous l’empire de Yahvé.
Yahvé donne une série de commandements à Moïse qu’accompagne Josué, sur le mont Sinaï et concrétisés sous la forme de deux tables de pierre écrites de son doigt même (Exode 31, 18). Ces tables sont l’oeuvre de Yahvé, de même que l’écriture gravée (Exode 32, 16). C’est ainsi que la loi d’Israël est de nature surnaturelle, divine. Ses exigences sont également nombreuses et très rigoureuses. Elles visent à faire des israélites un peuple saint et parfait selon les critères de Yahvé. Elles règlent l’ensemble de la vie des Juifs tant dans le domaine privé que public. Si une loi positive viole la norme divine, l’exigence est de désobéir à cette loi positive, la loi de Dieu étant supérieure à celle des hommes. Peuple non pas tant « élu » que « choisi », les Hébreux n’en sont pas investis pour autant d’une mission particulière à l’égard des autres nations. Si Yahvé déclare à ses fidèles « vous serez pour moi un bien personnel, parmi touts les peuples, car toute la terre est à moi, vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte » (Exode 19, 5-6), c’est bien pour lui et non pour les peuples extérieurs. Du reste, on voit mal comment les Juifs pourraient être un Peuple-Guide (un lieu commun) puisque leurs normes religieuses érigent une auto-ségrégation devenue constitutive de l’identité hébraïque (Jean Soler). Les prohibitions alimentaires, l’absence de procédure de conversion dans la Bible, l’interdiction des mariages mixtes ou de tout traité avec les nations étrangères rendent impossible, pour les Juifs, la possibilité d’éclairer les autres peuples sur la Vérité.
Sous l’Athènes des législateurs.
À partir du VIIIe siècle avant Jésus-Christ, en Grèce, apparaît un noyau urbain entouré d’une grande agglomération rurale. Au VIIème siècle débutent des affrontements d’ordre politique entre l’aristocratie, les classes possédantes et la petite bourgeoisie, affrontements issus du développement économique et commercial des cités grecques. À terme, elles trouvent un équilibre institutionnel. Sparte est une cité égalitaire, au plan économique et militaire, mais aussi totalitaire. À l’inverse, Athènes est une société de citoyens libres tirant leur fierté de leur soumission volontaire, et collective, à un ordre fondé sur la loi. Parlant des perses, les Athéniens disent d’eux : « Ceux-là n’ont que des chefs ». Athènes compte certains des philosophes les plus connus de l’Antiquité. Parmi eux : Platon et Aristote. Platon (428-347 av. le Christ) a légué un essai inachevé : Les lois. Dans ce livre, Platon renonce au modèle de la Cité idéale, et explique quelles sont les finalités de la loi. Pour ce faire, Platon établit un catalogue de lois politiques et de lois économiques censées assurer la cohésion de la Cité. Sa vision est non seulement autoritaire, mais aussi totalitaire : « Ce serait une erreur de croire qu’il suffit de faire des lois sur les actions relatives à l’ordre public […] sans qu’il faille descendre jusque dans la famille ». Aristote (384-322 av. le Christ), de son côté, a laissé deux grands ouvrages : L’éthique à Nicomaque et La Politique (en huit livres). Selon Aristote, la politique est une science architectonique, dirigée vers la promotion morale de l’homme. Il n’adhère pas à la Cité idéale, puisque les lois varient selon le naturel de chaque peuple. Quelle que soit la Cité, le meilleur régime est celui où les lois sont respectées, mais d’une obéissance spontanée, sincère, volontaire, qui engage l’âme des individus.
Athènes n’est cependant démocratique qu’au Vème siècle avant notre ère. Pour y atteindre, il a fallu combattre le pouvoir séculaire des nobles. Ce combat débute au VIIe siècle, et s’émaille d’une succession de grands législateurs (Dracon, Solon, Clisthène), qui donnent au démos des nomoï (des lois écrites). C’est grâce à ces lois qu’Athènes découvre, peu à peu, la liberté politique. Dracon est un archonte, issu d’une illustre lignée. En 624 il fait rédiger des dispositions de lois pénales très sévères, d’où le qualificatif de « draconien ». Dracon n’est pas un partisan de la démocratie. Il n’intervient que sur la pression du démos : on estime qu’une révolte s’est produite à son époque. Ces lois réalisent une grande avancée vers l’égalité juridique. Elles énumèrent le droit pénal. Elle abolissent également la vengeance privée et la responsabilité collective : l’action en justice et la réparation sont désormais individuelles. C’est un droit individualiste.
En 593 Solon doit lui aussi mettre fin aux luttes sociales. Solon se pose en arbitre, mais si sa législation tente certes de trouver un équilibre, elles entraînent aussi des avancées notables dans les secteurs politique et économique. Solon édicte des lois agraires. Il proclame ainsi la « levée du fardeau » : certaines règles abolissent les dettes, des terres mises en gage sont restituées aux paysans. On note que les corvées et l’exil pour dette sont abrogés. Des lois ouvrent aux citoyens la voie de l’Ecclesia. Le corps civique est divisé en quatre catégories censitaires bien que, pour être archonte, il faille encore faire partie des individus les plus riches. Solon institue une Justice populaire : c’est l’Héliée, formée de 6000 citoyens.
Mais ces réformes déplaisent aux aristocrates. Clisthène est un eupatride, et est devenu un partisan inconditionnel des droits politiques du démos. Il restaure les lois de Solon suspendues sous la tyrannie de Pisistrate, ainsi que l’Ecclesia et l’Héliée. Sa réforme tient en un mot : l’isonomie, c’est-à-dire l’égalité devant la loi. Chaque citoyen a le droit de participer au Gouvernement de la Cité. Ils peuvent se rendre à la Boulè, une sorte de conseil exécutif populaire. Composé de 500 membres désignés par le sort pour un an, il s’agit d’une miniature du corps civique, qui assure la coordination du travail des archontes (magistrats de la Cité). Pour un archonte, il y a dix citoyens. Clisthène garantit aussi l’iségorie, le droit absolu de chacun à prendre la parole avant un vote de l’Ecclésia, selon le temps de parole qui lui est attribué.
Sous l’empire de Rome
Rome instaure la République en 509 avant le Christ. Elle se maintient pendant quatre siècles. Ses premières décennies s’axent autour des luttes entre plébéiens et patriciens. Or les premiers se plaignent de ne pas avoir de droits et de méconnaître les normes à partir desquelles les magistrats rendent leurs sentences. Ce processus débouche à terme sur la loi des XII tables. Elle est donc le résultat principal du conflit entre plébéiens et patriciens. Elle est aussi la première loi écrite, qui se substitue aux coutumes préexistantes. Le Sénat décide en 455 avant Jésus Christ d’instaurer un droit commun à la plèbe et au patriciat. Il nomme pour ce faire une commission de dix membres. Ceux-ci enquêtent dans les cités grecques d’Italie, afin d’en extraire un corpus de modèles de lois (particulièrement celles de Solon). Elles sont affichées en permanence sur le Forum. Ces lois des XII tables ne nous sont parvenues qu’en citations éparses. Elles sont brèves et visent la procédure (règles générales du procès, exécution de la sentence, citation en Justice…) ainsi que les domaines pénal (entre autres l’homicide, l’incendie, le faux témoignage, l’interdiction de déplacer des ossements…) et civil (le testament, la propriété foncière, la tutelle et la curatelle, l’émancipation familiale…). Nous n’en connaissons cependant que mal la substance, du fait que ces lois ne nous soient point parvenues intégralement. Une minorité d’historiens modernes considère même que ces XII tables n’ont été que des adages de droit compilés au IIe siècle avant notre ère. En toute évidence, elles ne forment pas un code complet. Elles ne remplacent pas le droit en sa totalité, mais le complètent. Certaines dispositions d’allure primitive coexistent aussi avec d’autres d’aspect plus moderne. Sa contribution principale reste la laïcisation du droit. Sans doute, quelques éléments religieux subsistent, tel châtiment de la sorcellerie, mais la Jurisprudence procède de la souveraineté de la loi et non plus d’impératifs surnaturels.
Des avancées du droit romain de la République sont observables au crépuscule du régime. Par exemple, le dictateur Sylla développe le droit criminel et créé de nouvelles infractions tels que la tentative de meurtre, la violation de domicile, le délit de calomnie, et institue des amendes contre l’adultère. Plus remarquable, Jules César planifie, de son côté, la codification de la législation civile romaine. Cependant son assassinat en 44 avant le Christ en empêche la mise en oeuvre. Par la suite, Octave Auguste, derrière l’apparence de la République, érige le Principat. Il dure environ deux siècles. Au IIIe siècle, l’Empire devient totalitaire : c’est le Dominat. Sous Auguste, quelques lois sont encore soumises aux assemblées. Bien qu’il sollicite quelquefois le Sénat dont la législation s’exprime sous la forme du senatus consulte, le Princeps affirme progressivement son autonomie législative. Octave promulgue ainsi des constitutiones princepeis. On distingue quatre rubriques d’actes législatifs : les édits, les décrets, les rescrits et les mandats. On en trouvera la description dans le tableau ci-dessous. Sous l’Empire, les Jurisconsultes écrivent que la Constitution remplace la loi. On se met également à dire que « ce qu’il a plu au Prince d’ordonner a force de loi ». Aux IIIe-IVe siècles après le Christ, le culte de Sol Invictus sous Héliogabale et Aurélien, et surtout du christianisme devenu religion d’État depuis l’Édit de 380 renforcent les vertus supposées divines des Césars. Au IVe siècle, enfreindre la loi impériale est donc un crime de lèse-majesté, que sanctionne la peine de mort.
À l’époque moderne.
Sous l’empire de la coutume.
Après la chute de l’Empire romain en 476 après Jésus-Christ, se produit la naissance de nombreuses monarchies barbares. Éparpillées en Europe, les populations anciennement romaines veulent néanmoins conserver leurs droits. Alaric II promulgue la loi romaine des wisigoths ; c’est le droit d’essence romaine appliqué à ses sujets gallo-romains. On l’a appelé le bréviaire d’Alaric. C’est un résumé du code théodosien contenant également quelques extraits du code grégorien. Clovis conserve, pour ses propres sujets, ce bréviaire, et il l’étend même à ses autres sujets du nord de la Loire. Ces rois germaniques font aussi rédiger des coutumes de leur peuple, telle que la loi salique. Dans ces royaumes, chaque personne est soumise à ses lois d’origine. Ce phénomène est appelé « la personnalité des lois ». Mais il ne pouvait être durable, du fait de la fusion des peuples et des mariages mixtes. Il n’a duré que jusqu’aux VII-VIIIe siècle de notre ère. Les administrateurs royaux ont alors de plus en plus de mal à appliquer le droit.
Cependant cela n’empêche pas le monarque carolingien de légiférer au moyen de capitulaires : ce sont des lois quant à leur généralité et leur force contraignante. Après 884, on ne dénombre plus aucun capitulaire. La féodalité commence. On ne parle dès lors plus de loi mais de ban seigneurial. Il se met en place des coutumes, des usages répétés qui régissent la vie de chaque seigneurie. Si la coutume se distingue de la loi, c’est au sens que sa norme est non écrite, et applicable sur une circonscription parfois très étroite ; il y a ainsi des coutumes de village, de rivière, de rue, et même de métier. Cette norme a pour caractéristique d’être diverse dans l’espace, variable dans le temps. Ce n’est donc pas un droit unitaire.
Au XIIe siècle, on redécouvre le droit romain. Celui-ci était pourtant tombé dans l’oubli à partir de la chute de Rome. Au Moyen-Age, les exemplaires encore disponibles du code de Théodose n’étaient pas appliqués. En Europe, aux XIIIe siècle, des professeurs réexaminent puis enseignent des textes de droit romain retrouvés en Italie, et notamment les recueils de lois dont Justinien avait ordonné la compilation au VIe siècle de notre ère. Ce sont les Institutes, le Digeste (divisé en 50 livres avec 10 000 extraits d’ouvrages doctrinaux pour toutes les matières du droit) et les Novelles. Ces professeurs en font la glose, les commentent. Ce phénomène fait tache d’huile, et se répand sur le Vieux Continent. Des foyers d’enseignement de législation romaine naissent, et ils connaissent un réel succès puisque ces facultés attirent plus d’étudiants que leurs concurrentes. Certains élèves exceptionnels récitent même les Institutes de tête. Diplômés, ils sont qualifiés de légistes et deviennent les principaux agents de la vie politique et sociale. Le midi de la France intègre le droit romain : c’est un pays de droit écrit, en opposition au nord de la France.
Pratique législatrice du roi
La première loi royale date de 1155. Elle est prise par le roi Louis VII. Elle instaure une trêve de dix ans. Les premiers textes de loi sont appelés « établissements », car ils ont pour fonction d’instituer un ordre stable. Ils recevront ensuite trois formes différentes de dénominations : on appelle « ordonnance » tout texte de contenu large, applicable à l’ensemble du royaume ; on appelle « édit » tout texte relatif à une notion précise ou à une partie du royaume ; on appelle « déclaration » le texte qui complète le sens ou la portée des deux premiers. À partir de Philippe Auguste (qui règne de 1179 à 1223), le roi invoque systématiquement l’utilité publique, la nécessité publique. Dès le XIIIe siècle, toutes les lois débutent par une adresse, où le roi s’exprime. On y trouve une salutation ainsi qu’un préambule, sorte de considérations sur les devoirs de la royauté. Peu après suivent les motifs de la législation. En dernier lieu vient le dispositif (la loi proprement dite), qui se termine par la date, le lieu, la signature et la formule « car tel est notre bon plaisir », ce « plaisir » étant ce qui a semblé juste au roi après réflexion. Ce texte est ensuite authentifié par le Grand Sceau royal au cours d’une cérémonie à la Chancellerie, avant d’être expédié dans les Parlements. La loi prend la forme d’une lettre patente, destinée à être lue en public (en opposition aux lettres de cachets). À la suite de quoi les Parlements font des copies de la lettre, et la diffusent auprès des tribunaux inférieurs.
Aux XVIe-XVIIe siècles, le royaume de France est l’État le plus marqué d’Europe en matière de déploiement de la puissance législative royale. C’est en France, que les lois sont les plus abondantes. Ce phénomène se traduit au XVIIe siècle par le cycle des grandes ordonnances qui unifient de grands secteurs du droit. En 1667 paraît l’Ordonnance civile ; en 1669 l’Ordonnance des Eaux et Forêts ; en 1670 l’Ordonnance criminelle, avec laquelle se produit une véritable codification pénale ; en 1673 est édictée l’Ordonnance du commerce ; en 1681 c’est l’Ordonnance de la marine, et en 1685 l’Ordonnance sur la police des îles de l’Amérique (« Code noir »). Elles amplifient l’oeuvre d’unification du droit. Ce travail est poursuivi sous Louis XV avec le chancelier Henri François d’Aguesseau (1668-1751). Juriste cultivé, il élabore plusieurs ordonnances : sur les donations en 1731 ; sur les testaments en 1735 ; en 1747 sur les substitutions.
Cependant assez tôt dans l’histoire, les rois de France ont craint pour leurs lois. Cette inquiétude s’est développée au cours du conflit pluriséculaire opposant le roi aux Parlements. Au XVIe siècle, la royauté rappelle ainsi à ses parlementaires qu’ils ne sont que des juges nommés par elle, et censés appliquer strictement la législation royale. De même, il arrive que le roi se rende parfois dans tel ou tel Parlement et admoneste publiquement la magistrature, lui interdisant d’interpréter la loi. Celle-ci est souveraine, le juge n’en étant que l’esclave. Face à eux la royauté recourt à certains procédés. Par exemple, elle casse des arrêts du Parlement (ancêtre de la cassation) via le Conseil du roi. Elle s’empare d’un nombre croissant de procès (elle les retire de la compétence de tel Parlement local). On voit également les Chanceliers réitérer l’interdiction de l’interprétation des lois. Mais la réaction la plus ferme, la plus autoritaire vient sans conteste de Louis XIV. Celui-ci rend en 1667 son Ordonnance civile, dont les huit premiers articles ont un contenu politique, puisqu’il est fait mention de ne plus interpréter la loi sous prétexte d’équité. Dès qu’une loi paraît obscure aux magistrats, ces derniers doivent interrompre l’instance, et interroger le Conseil du roi sur l’interprétation convenable qu’il faut en retirer sous peine de sanction. En dépit de cet effort, Louis XIV prêche néanmoins dans le désert. Entre 1750 et 1771 Louis XV est systématiquement désobéi par ses élites. Aidé de son ministre Maupéou, Louis XV tente de briser la résistance des Parlements. Il fait interner sur lettre de cachet tel magistrat ; il en assigne d’autres à résidence. Ce à quoi les Parlements répondent en faisant la grève. Leurs remontrances sont de plus en plus longues et arrogantes ; elles sont aussi publiées et donnent ainsi l’exemple de la désobéissance. En février 1771 Maupéou brise la révolte, notamment en abolissant la patrimonialité des offices. Il modifie également la carte judiciaire. En 1776 cependant, Louis XVI monte sur le trône. Il disgracie Maupéou et rétablit les Parlements dans leurs prérogatives habituelles.
Pour justifier sa prétention législative, la haute magistrature convoque quatre arguments. Un est d’ordre philosophique : la loi doit être conforme à la Justice, c’est-à-dire suivre l’intérêt public. Elle ne doit receler aucun « ferment d’injustice ». Cette affirmation remonte à la redécouverte du droit romain. Second argument : le Parlement est le dépôt des lois. Cette expression revient des milliers de fois dans les remontrances des magistrats, c’est-à-dire que les Parlements vérifient la bonne continuité de l’action législative royale, ce qui équivaut à une sorte de contrôle de légalité. Ensuite, ils font valoir qu’à l’époque franque, la monarchie réunissait des plaids généraux (les premiers Parlements), auxquels elle soumettait ses décisions. Ceux-ci étaient associés au moins une fois par an à la politique législative. Quatrièmement les magistrats expliquent qu’ils forment le Sénat de France. Possédant une culture juridique et politique antique, ils énoncent qu’il faut un Sénat qui autorise les lois et les vérifie. De même qu’à Rome, le Sénat disposait d’une capacité législative (senatus consulte), de même les Parlements doivent-ils ainsi prendre part à la législation royale. Sous son apparent anachronisme, c’est le prétexte le plus dangereux à la personne du roi. En effet le Sénat divinisait ou vouait aux gémonies les Césars selon le rapport que ceux-ci avaient entretenu avec lui ; c’est pourquoi Commode, par exemple, fut réputé tyran bien qu’ayant été fort populaire auprès de la plèbe, alors que Marc Aurèle fut divinisé car étant animé d’un respect sincère, et non point affecté, à l’égard de cette assemblée. Si les magistrats des XVI-XVIIe siècles prétendent incarner le Sénat de France, la logique mimétique doit donc les conduire, à terme, à reproduire la « catégorisation post mortem » des Empereurs qu’avait pratiqué le Sénat de Rome. Cette opposition des Parlements se renforce au cours du XVIIIe siècle, où plusieurs lettres de jussion sont nécessaires, souvent avec un lit de justice, pour faire enregistrer un édit royal. Cette fronde parlementaire nourrit alors la méfiance des futurs législateurs de la Révolution.
Sacralisation philosophique de la loi
Née au XVIIe siècle, l’école moderne du jusnaturalisme, représentée par Hugo Grotius (Du droit de la guerre et de la paix, 1625) et Pufendorf (Du droit de la nature et des gens, 1672), prend place dans un contexte, plus large, de développement des sciences physiques et expérimentales. Harvey découvre la circulation du sang ; Newton la gravitation ; Pascal et Fermat mettent au point le calcul des probabilités ; le microscope (vers 1590) et le télescope (vers 1608) sont inventés, permettant la découverte, par exemple, de la cellule. Le jusnaturalisme déclenche, de son côté, l’essor du rationalisme dans la réflexion juridique. Au XVIIIe siècle, la Nature et la Raison deviennent deux des maîtres-mots de la philosophie des Lumières. Rousseau idéalise la nature, Voltaire se porte le porte-drapeau de la raison qu’il oppose à la superstition. Les successeurs de Grotius et Pufendorf élaborent l’idée que la loi naturelle n’a plus besoin d’être associée à la loi divine. C’est pourquoi le jusnaturalisme joue contre le droit divin de la royauté. Et entre l’idée de droit naturel et de droits de l’Homme, le pas est rapidement franchi. On se rappelle ainsi que la Déclaration de 1789 proclame ces derniers en tant que droit naturels, inaliénables et sacrés.