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La campagne électorale pour la Présidence des Etats-Unis de 2016 a vu la victoire de Donald Trump. Cependant la victoire ne lui était pas acquise. Alors que la campagne était censée se résumer à un affrontement entre Jeb Bush et Hillary Clinton, deux multimillionnaires, Bernie Sanders et Donald Trump, outsiders populistes, rebattirent les cartes. Une manière de prouver, s’il en était encore besoin, à quel point les campagnes ne sont pas jouées d’avance, encore plus aux Etats-Unis. Retour sur la campagne de 2016.


La campagne électorale

Par ses huit ans passés au cabinet de Barack Obama, Hillary Clinton était apparue comme toute désignée à la succession de Barack Obama. Son passé de Première Dame (1992-2000) eut aussi un rôle important dans le processus. On raconte que, alors tous deux étudiants en droit à Yale, Bill Clinton et sa compagne Hillary se seraient mutuellement promis de s’aider à être Présidents pour deux mandats ; ce devait être d’abord le tour de Bill puis celui de sa femme, ceci expliquant l’abnégation de Hillary à se présenter aux Primaires du Parti Démocrate (2008, 2016, et probablement 2020 malgré la détérioration de sa santé).

Un élément perturba toute la campagne de Hillary Clinton : en effet la montée en puissance du démocrate Bernie Sanders (74 ans), multimilliardaire jouant, comme Donald Trump, sur la corde populiste et contestataire de l’électorat américain à l’égard de Wall Street et de l’Establishment de la côte est. Bien qu’il manquait à ce dernier le vote des minorités noire et hispanique, son plus grand avantage était le vote des jeunes. Il recueillit ainsi 84% du vote des 17-29 ans lors de la primaire de l’Iowa en février 2016. Du reste, Hillary Clinton doit sa victoire à des tricheries quasi-avouées de l’État-Major du Parti Démocrate, sans lesquelles Sanders aurait probablement été nominé candidat. Donna Brazile, patronne par intérim des Démocrates (Juillet 2016-Février 2017) confiait dans un livre, paru fin 2017, que pendant les primaires, Clinton contrôlait de facto le parti. On se souvient des accusations incendiaires de Sanders, accusant la direction démocrate de ne pas être l’arbitre neutre qu’elle prétendait être. Wikileaks a révélé, grâce à la divulgation d’emails, que l’équipe Clinton avait reçu à l’avance les questions qui allaient être posées pendant l’un des débats du parti. En juillet 2016 néanmoins, Clinton fut officiellement investie candidate du Parti Démocrate.

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Décalé, celui qui est désormais président des États-Unis, Donald Trump, a démarré sa campagne en juin 2015, en tirant de sa fortune personnelle cent millions de dollars comme contribution volontaire. Cet autofinancement lui permit de tourner en roue-libre, en dehors des financiers de Wall Street. Sa femme Melania résumait : « Mon mari mène sa campagne en toute indépendance financière, ce qui lui donne une liberté qu’aucun autre candidat ne peut revendiquer vis-à-vis du Parti Républicain, des médias et des lobbys. Ensuite, il est dans l’air du temps ». Sa fortune est évaluée à dix milliards de dollars. Lui prétend en peser le double. On discute encore des raisons qui l’ont poussé à être candidat à la présidence. Il déclarait encore en 2005 au magazine Paris Match : « Je suis trop direct, trop honnête sans doute pour être un politicien ». Une des explications avancées tient au fait qu’à l’édition 2015 du Dîner des Correspondants de la Maison Blanche, une mondanité annuelle regroupant le gratin des hommes d’affaires, des journalistes, des hommes politiques et autres stars du « show-business », Barack Obama avait humilié Donald Trump, alors présent.
On se souvient, en effet, que le milliardaire avait publiquement fait part de son doute quant au fait qu’Obama ait pu naître en territoire américain, condition pourtant impérative pour pouvoir prétendre à la présidence. Dans une salle hilare, Obama déclara notamment : « Personne ne serait plus joyeux, plus fier de découvrir mon certificat de naissance que Donald. Parce qu’il pourrait enfin se focaliser sur les problèmes importants : avons-nous truqué l’alunissage lunaire ? Et que s’est-il vraiment passé, à Roswell ? »

En juillet 2015, les sondages donnaient Clinton à 53% d’intentions de vote et Trump à 33%. En octobre 2015 ils étaient donnés au coude-à-coude, totalisant chacun 44% en moyenne. En mars 2016, l’écart se creusa à nouveau : Clinton recueillait 50% des intentions de vote et Trump, 39%. En octobre 2016, dernier mois avant l’élection, Clinton était à 49% et Trump à 42%.

La campagne des primaires du Parti Républicain demeura longtemps dans l’incertitude, notamment en raison du nombre élevé de candidatures. Trump en fut l’invité surprise. Peu le donnaient alors gagnant. En décembre 2015, Quentin Tarantino déclara : « Il m’a fait rire pendant un certain temps. C’était un bouffon. Voir ce singe jeté dans l’arène politique, le voir retourner ce château de cartes, c’était drôle. Mais les choses qu’il a dites, dont celles prononcées après les attaques terroristes à Paris, l’ont fait passer du statut de bouffon à celui d’un homme dangereux. Il joue sur le terrain des fondamentalistes radicaux de droite en diabolisant les musulmans. Je ne pense pas qu’il puisse devenir président, il n’a pas les soutiens nécessaires de la part du peuple américain. S’il est nommé candidat, c’est donc Hillary Clinton qui sera élue, et ça n’est pas un problème ». Mais après ses propos relatifs à l’interdiction de l’entrée des musulmans aux États-Unis, la popularité de Trump connut un saut spectaculaire et permanent. Il remporta haut-la-main les Primaires républicaines. Ses principaux concurrents étaient alors Ben Carson (ancien chirurgien), Ted Cruz (avocat), Jeb Bush (homme d’affaires et ex-gouverneur de Floride, favori des sondages en 2014 et 2015) et Marco Rubio (diplômé en droit). En décembre 2015, un sondage donna Trump à 38%, loin devant Carson (13%) et Rubio (12%). Cependant l’Iowa, première étape dans le parcours républicain des Primaires, fut remporté, le 1er février 2016, par Ted Cruz, la figure de proue de l’aile évangélique du Parti Républicain et détesté, comme Trump, par la direction. Mais les autres États donnèrent la victoire à Trump. Ses victoires furent éclatantes le premier « Super Mardi » (1er Mars 2016) où il gagna l’Alabama, la Géorgie, l’Arkansas, la Virginie et le Vermont, le Massachusetts et le Tennessee, et le second « Super Mardi » (15 Mars 2016) où il vainquit son adversaire Marco Rubio dans son propre État natal, à savoir la Floride. A la suite de quoi, Rubio se retira.

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La campagne proprement dite fut émaillée de promesses chocs et d’attaques personnelles. Donald Trump déclara à ses supporters qu’une fois élu, il nommerait un Procureur spécial chargé d’enquêter sur le cas de Hillary Clinton, ce qu’il réitéra face à elle, lors du troisième et dernier duel télévisé, tenu à l’université du Nevada (Las Vegas) : « Il n’y a jamais eu autant de mensonges, autant de tromperie, on n’a jamais eu une telle situation. […] Il y aura un Procureur spécial qui enquêtera, et vous savez pourquoi ? Parce que des vies ont été ruinées pour avoir fait 1/5ème de ce que vous avez commis. C’est un déshonneur total et vous devriez avoir honte ». Clinton ne manqua pas d’y répondre : « Laissez-moi simplement dire ceci : tout ce qu’il vient de dire est faux et ce n’est pas étonnant. C’est bien heureux qu’une personne avec son caractère, ne soit pas responsable des lois de notre pays ». Trump prit le micro et lui asséna d’un air flegmatique : « Oui, sinon vous seriez déjà en prison ». Bien que la réplique échauffa l’assistance de ce débat, Clinton essayant de garder bonne figure, la répercussion la plus notable de ces menaces se révéla lors des meetings du Parti Républicain. Grâce à la relance par le FBI de l’enquête sur les mails de Hillary Clinton, les fans de Donald Trump, revigorés, martelèrent en choeur leur volonté d’envoyer la candidate Démocrate derrière les barreaux, notamment lors du meeting de Cedar Rapids (Iowa). Trump y déclara notamment : « Cette enquête est le plus gros scandale politique depuis le Watergate ». En exceptant cependant George W. Bush : alors président des Etats-Unis en 2003, ce dernier n’avait pas hésité à faire mentir son Administration devant le Conseil de Sécurité de l’ONU et devant le Congrès en faisant croire que Saddam Hussein (dictateur d’Irak) détenait des armes de destruction massive. Au nom d’un mensonge d’État, la seconde guerre du Golfe (aussi appelée Guerre d’Irak) entraîna la mort de 4474 soldats américains, sur un total de 162 000 morts, essentiellement civils. On admet alors que l’affaire du Watergate, soldée par la démission de Richard Nixon, et que Trump cite comme type-même du scandale politique, paraît anodine par-rapport aux crimes commis de nos jours.

Alors que les candidats se contentent, habituellement, de battre campagne dans les États-clés, les États qui ont la capacité par leur poids électoral (ex : Floride, Californie, Ohio, Michigan ou Caroline du Nord…) de changer subitement le cours d’une élection présidentielle, Donald Trump prit le parti de sillonner les États-Unis de bout en bout. Un seul autre candidat adopta peu ou prou une conduite aussi énergique par le passé : Richard Nixon en 1960 s’était mis un point d’honneur à mener campagne contre Kennedy dans chacun des cinquante États américains. Dans la dernière ligne droite de la campagne, Donald Trump tint cinq meetings le dimanche 6 novembre et quatre le lundi 7 : une activité rarement atteinte dans une campagne pour la présidence. Clinton réalisa deux meetings le même lundi : un en Caroline du Nord et un dans le Michigan (État gagné par Obama en 2008 et 2012). Ces États tombèrent dans l’escarcelle des Républicains le jour du vote.

La soirée électorale

On disait par mass-medias interposés et communiqués apaisants qu’Hillary Clinton serait grande gagnante. Mais au fil des heures, la tendance se fit plus serrée et plus incertaine. Bientôt on ne parla plus de victoire gaie et insouciante pour le camp Clinton. On prit connaissance des premiers dépouillements vers 19 heures : il était alors environ une heure du matin en France. Au New-Hampshire, la tendance était pro-Républicaine. Elle s’inversa en partie, pas assez pour que Clinton décroche les Grands Électeurs. Donald Trump était en tête au Kentucky. Sur plusieurs chaines d’information en continu (CNN, CBS), on se rassura en disant que toutes les voix n’étaient pas décomptées et que d’autres États rééquilibreraient la balance. Vers deux heures du matin en France (20 heures aux USA), apprenant que Donald Trump était en légère avance en Floride, État crucial pour les deux candidats, les reporters adoptèrent une mine plus grave. Alors qu’en Pennsylvanie, l’avance de Clinton était considérable en début de dépouillement, cet État tourna casaque en dernière partie de soirée, et apporta 20 Grands Électeurs aux Républicains. Ce gain compensa la victoire de Clinton dans les États de Washington, de l’Oregon et du Nevada (25 Grands Électeurs).

Clinton s’était protégée d’une « facétie » de la Floride : en cas de défaite, plusieurs lignes de défense étaient censées combler le fossé des États du sud en attendant les résultats, supposés favorables, des États de l’Ouest. Ces défenses étaient la Caroline du Nord et du Sud, la Virginie et l’Ohio. Hillary Clinton ne remporta que la Virginie, avec quatre points d’avance. Ce qui au départ était censé être une balade légère pour Clinton se transforma alors en scénario catastrophe.

En Arkansas, Hillary Clinton fut écrasée par 30% d’écart. Vers 21 heures aux États-Unis, la tension s’établit dans le QG de campagne des Démocrates et chez ses supporters. Elle remporta le Vermont : mais il ne comprenait que trois Grands Électeurs seulement. On remarque que la pointe nord-est des États-Unis est alors entièrement acquise aux Démocrates. Aux alentours de 21 heures et demi (environ 3 heures en France), le Texas transmit ses premiers résultats : le ticket TRUMP-PENCE était donné gagnant. Clinton les talonnait. En Floride, alors que les votes finissaient d’être décomptés, la tendance générale se confirma. Plus les États du centre donnaient leurs premiers verdicts et plus une victoire du Parti Républicain semblait envisageable. Autour de 22 heures (côte est), on vit que l’Oklahoma, le Kansas, l’Arkansas et le Missouri (un total de 29 Grands Électeurs) tombaient dans la corbeille de Donald Trump.

Du côté démocrate, un optimisme brinquebalant nourri aux sondages confiants et au vote favorable des minorités ethniques faisait place à une atmosphère de plus en plus sinistre : les États du Midwest se drapèrent (sauf Minnesota et Illinois) de la couleur rouge, caractéristique du Parti Républicain. On rapporta la nouvelle que Donald Trump raflait l’Idaho et l’Utah ainsi que le Montana et le Wyoming (total de 16 Grands Électeurs). Ce gain lui permit de compenser la victoire de Clinton dans le Colorado et le Nouveau-Mexique (total de 15 Grands Électeurs). Quand elle empocha la Californie et ses 55 Grands Électeurs, le ticket Républicain avait déjà pris le large et gagné l’Alaska (bien qu’État négligeable).

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A l’heure du bilan

Sur certains points, la victoire de Donald Trump revêt un aspect historique. Historique pour deux raisons : un outsider vilipendé par la caste politique, par les « people » (exceptés les acteurs Clint Eastwood, Jon Voight et James Woods), par la Presse et une partie de son propre camp dont les apparatchiks Mitt Romney et John McCain ; le premier Président depuis la fondation des Etats-Unis à n’avoir jamais occupé une fonction publique (politique, diplomatique, militaire). Il est également le premier depuis plusieurs décennies à avoir remporté une campagne pour la présidence sans avoir dépensé plus que son adversaire, ce qui est un cas de figure inédit depuis 1952. En Europe, l’ensemble de la Presse et des hommes politiques tenaient la victoire de Clinton comme acquise. La revue Märkische Allgemeine avait fait une seule édition, consacrée à Clinton : « Good morning Mrs. President ! » De même, le staff de François Hollande, encore en poste à la Présidence, avait rédigé une lettre de remerciement à Clinton seulement, signe certain d’amateurisme. Même aux Etats-Unis, la revue Newsweek avait parié sur Clinton en lui consacrant ses Unes. Quant à Hillary Clinton elle-même, elle publia une photo d’elle, petite, le 26 octobre, la titrant « Bon anniversaire à la future Présidente ».

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Clinton ne parut pas devant ses supporters. Son directeur de campagne John Podesta se chargea en seconde partie de soirée de demander aux militants démocrates de rentrer chez eux et déclara que le Parti Démocrate exigerait que chaque voix soit recomptée. Ce n’est que le lendemain que Clinton parut devant les caméras. On en sut la raison plus tard par la bouche d’Ed Klein (ex-éditeur de Newsweek) et de ses proches : abattue par une déroute imprévue, la candidate démocrate avait pleuré toute la nuit de manière incontrôlable, blâmant Barack Obama d’un soutien qu’elle disait lacunaire, critiquant le FBI et son enquête sur ses emails. Ceci dit pourquoi Obama aurait-il soutenu les Clinton contre vents et marées si ce n’est peut-être par fidélité aux Démocrates ? Alors que Barack Obama était investi par le Parti Démocrate en 2008 en sus et place de sa rivale, Bill Clinton déclarait en privé : « Obama ? Voici quelques années encore, ce gars nous aurait servi notre café ! » Une allusion au statut de second rang dont les Noirs étaient affligés au cours des années 1960. Mis au courant par sa femme Michelle, Obama ne le pardonnera pas aux Clinton.

Du côté de Donald Trump, la victoire est inattendue, et certains scores restent stupéfiants : s’étant moqué de John McCain (ancien soldat de la guerre du Vietnam) et d’un autre vétéran de guerre, Trump fait presque trois fois mieux que ce qu’avait fait McCain en 2008 chez les vétérans, alors que lui-même n’a jamais servi dans l’armée. En dépit de certains propos machistes (« Quand on est une star, elles nous laissent faire. On fait tout ce qu’on veut. (…) Les attraper par la chatte… On peut tout faire ! »), Trump recueille les voix de 42% du corps électoral féminin. Globalement, de l’avis des commentateurs politiques, la campagne de 2016 aura été la plus violente jamais vue depuis des décennies : en dehors des bagarres entre militants politiques, c’est également la première fois qu’un adversaire menace de mettre son rival en prison s’il est élu. Une possible explication tient au fait que la campagne a pu être considérée, de part en part, comme la « traduction » de la guerre civile larvée en cours aux États-Unis entre les Blancs, les minorités ethniques et l’élite de la côte Est.

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