La mort prématurée d’Henri II en 1559 inaugure une période de crise profonde de l’autorité royale marquée par le déclenchement de guerres civiles à caractère religieux, guerres qui ne vont cesser de se politiser. Huit guerres de religion vont se succéder de 1562 à 1598, entraînant une réflexion politique et philosophique sur la nature du pouvoir monarchique et l’émergence de contre-pouvoirs. A l’échec de l’arbitrage royal symbolisé par la Saint-Barthélémy (1572) va succéder une période d’affaiblissement du pouvoir royal (Henri III), jusqu’à une reprise en main à partir de 1589 (Henri IV).
Les premiers affrontements et l’échec de l’arbitrage royal (1560-1572)
Les Guise contre les Bourbons et la conjuration d’Amboise
Vers 1560, environ un français sur dix est de confession protestante. Aux groupuscules isolés se substitue une Eglise organisée avec une discipline et une doctrine qui se précise. De grands seigneurs tel Louis de Condé ou des prélats comme l’archevêque d’Aix passent du côté des réformés.
En 1559, François II, alors âgé de 15 ans, est mis sur le trône. Bien qu’il soit majeur selon les lois du royaume, il ne se sent pas prêt à gouverner, et laisse la réalité du pouvoir aux Guise (le duc François et le cardinal Charles de Lorraine). Les Bourbons, autre grande famille du royaume dont le grand représentant est le protestant Louis de Condé, s’opposent à cette faction.
Les Guise deviennent vite impopulaires à cause de leur politique budgétaire rigoureuse (les pensions royales destinées aux nobles deviennent plus rares) et de l’abandon des prétentions italiennes. Leur position au sein du pouvoir devient intolérable et un complot, fomenté par des gentilshommes protestants, se met en place en vue de capturer la famille royale pour l’extraire de leur néfaste influence : la conjuration d’Amboise (1560). Le projet est cependant découvert, avorté et la répression est féroce. François II meurt en 1560, après un an et demi de règne, et laisse la place à son jeune frère Charles IX, non majeur. Catherine de Médicis assure la régence.
Des tentatives de modération religieuse à la guerre civile
Catherine de Médicis, qui a une reçue une éducation humaniste, pense que le pouvoir royal doit jouer un rôle d’arbitrage entre des factions en conflit et non prendre parti. Entourée de modérés, dont le chancelier Michel de l’Hospital, elle va tenter d’organiser la coexistence des deux cultes. Au colloque de Poissy (1561), des théoriciens catholiques et protestants sont convoqués pour mettre au point des accords. Cependant, les deux partis ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente.
En 1562, l’édit de Saint-Germain ou « édit de Janvier » accorde la liberté de conscience, de culte (hors des villes) et de réunion aux protestants, en échange de la restitution des lieux catholiques confisqués par les réformés. L’édit est mal accepté par les deux partis, en particulier par les ultra-catholiques dont les Guise. Dans ce contexte de tensions se déroule le massacre de Wassy (1562) : le duc François de Guise passant à Wassy avec ses hommes rencontre un groupe de près de 1000 protestants et donne l’assaut. 25 à 50 d’entre eux sont tués, 150 blessés.
Les Guise parviennent ensuite à capturer la famille royale qui va être retenue prisonnière à Vincennes. Le 8 avril 1562, Louis de Condé demande sa libération et l’éloignement des Guise de la Cour. Les affrontements religieux commencent et la famille royale est effrayée face à la flambée de violence.
En mars 1563 est signé le traité d’Amboise qui instaure une paix fragile. En août de la même année, le jeune roi Charles IX est déclaré majeur. Catherine de Médicis décide d’entreprendre un grand tour de France de 2 ans, avec toute la Cour, pour tenter de restaurer l’unité du royaume et raffermir l’autorité royale. C’est un échec, les affrontements reprenant rapidement.
La troisième guerre civile prend une dimension internationale. Les Espagnols en guerre aux Pays-Bas mènent une répression terrible contre les protestants. Leurs coreligionnaires français s’imaginent qu’il se prépare la même chose en France, prêtant à Charles IX des idées d’extermination. En septembre et octobre 1567, entre 120 et 200 notables et ecclésiastiques catholiques sont massacrés. Le modéré Michel de l’Hospital est renvoyé et les Guise sont rappelés à la Cour. Sous leur influence, Charles IX signe une ordonnance royale qui interdit l’exercice public du culte protestant (Saint-Maur, 1568) : les affrontements reprennent, la répression se durcit, et pour la première fois les protestants s’organisent en armées lors de batailles rangées (Jarnac, Moncontour). En 1570, les protestants remportent des victoires et c’est un traité plutôt en leur faveur qui est signé en août (traité de Saint-Germain).
Lors de cette troisième guerre, les principaux meneurs des deux partis trouvent la mort : Louis de Condé pour les protestants, François de Guise pour les catholiques. C’est une nouvelle génération qui prend la relève : Henri de Navarre et Henri de Condé (fils de Louis) pour les protestants, Henri de Guise (fils de François) pour les catholiques. Le seul chef historique qui a survécu est l’amiral de Coligny (protestant).
Le massacre de la Saint-Barthélémy (1572)
Depuis 1570, le royaume est relativement calme malgré des tensions accrues et des rancurs tenaces. En 1572, de mauvaises récoltes, des épisodes de peste et une montée du chômage échauffent les esprits. Les prédicateurs se multiplient. Paris, ville ultra-catholique où règne durant l’été une chaleur étouffante, devient un véritable baril de poudre.
Une quantité de protestants affluent sur la capitale pour célébrer le mariage entre le protestant Henri de Navarre et la catholique Marguerite de Valois, conçu comme une tentative de retour à l’harmonie. Le 22 août, juste avant le mariage, l’amiral de Coligny échappe de peu à un attentat (l’identité des commanditaires divise les historiens). Les protestants réclament justice au roi qui, prenant peur, fait arrêter de façon préventive les plus agités. Cependant, la milice urbaine et ultra-catholique de Paris fait du zèle et déclenche le massacre le 24 août. Le pouvoir royal se trouve complètement dépassé par le mouvement incontrôlable de meurtres et de pillages qui fait 2000 morts à Paris et 5000 à 10 000 victimes dans le royaume (les Saint-Barthélémy locales ne s’achèvent qu’en octobre). Le roi Charles IX, impuissant face à la fureur populaire, endosse la responsabilité de l’événement le 26 août.
François Dubois, Le massacre de la Saint-Barthélemy.
Ce massacre restera dans les mémoires, les témoins du temps parlant de 10 à 100 000 victimes en quelques heures (chiffres faux mais significatifs de l’émoi populaire). Les protestants sont véritablement pris de panique, fuyant le royaume vers l’Angleterre, la Suisse ou l’Allemagne ou bien abjurant temporairement.
L’affaiblissement du pouvoir royal (1572-1589)
La reprise de la guerre civile
Les catholiques les plus radicaux sont satisfaits de ces massacres, jugeant que le pouvoir royal a définitivement décidé de détruire l’hérésie. Les abjurations de 1572 donnent l’impression d’un recul du protestantisme. Pourtant, les réformés sont loin d’être anéantis.
La panique passée, les protestants reprennent les armes. A nouveau une guerre de populations essentiellement intra-urbaine apparaît. La Rochelle se soulève en 1573 contre les troupes royales qui ne parviendront pas à récupérer la ville. Le roi signe l’édit de Boulogne la même année, très défavorable aux protestants : Charles IX se décide à montrer sa fermeté. Celui-ci devient un « roi tyran » aux yeux des réformés. Des théoriciens comme François Hotman ou Théodore de Bèze commencent à contester le pouvoir royal : ce sont les monarchomaques (terme apparu vers 1600). S’ils ne sont pas des opposants au régime monarchique, ils s’opposent au pouvoir solitaire et sans contre-poids du roi.
L’émergence des « partis »
Charles IX meurt en mai 1574. Son frère Henri d’Anjou, élu roi de Pologne l’année précédente, rentre en France en septembre, Catherine de Médicis assurant l’interrègne. Émergent alors des partis et un processus d’autonomisation des provinces. Le Midi, où les huguenots sont bien implantés, jouit d’une grande liberté et s’auto-organise en s’affranchissant de la tutelle royale (les « Provinces-Unies du Midi », Jean Delumeau).
Le parti des malcontents, regroupant les modérés des deux confessions, reprend une partie de la réflexion des monarchomaques. Leur propagande se fonde sur une lecture très politisée des guerres de religion, dans lesquelles ils voient un piège tendu par le pouvoir royal pour diviser et exterminer la noblesse. Ils redoutent une évolution absolutiste du pouvoir.
Le parti les ligueurs est le plus difficile à contrôler. Composé de très grandes familles (duc de Lorraine, duc de Joyeuse,…) et très implanté au Nord, il entend rétablir l’unité religieuse du royaume en éradiquant le protestantisme. Henri III pense contrôler ce parti en en prenant sa tête en 1576, mais il n’arrive pas à imposer sa volonté.
Henri III est un roi impopulaire, instable, menant une politique qui paraît peu cohérente. Entouré de ses « mignons » (noblesse moyenne qui lui est très fidèle et à laquelle il accorde de nombreuses faveurs), il a une réputation d’homosexuel. A l’opposé, Henri de Guise est grand guerrier, beau et couvert de maîtresses : il dispose d’une image de monarque idéal. En outre, Henri III n’a pas d’héritier et la santé de son frère François d’Alençon est très fragile. Si Henri III et François d’Alençon meurent, l’héritier légitime est le protestant Henri de Navarre, ce qui donne une grande vigueur à la Ligue.
Henri III face à la Ligue
Henri III finit par perdre presque toute autorité dans son royaume. François d’Alençon meurt en 1584, faisant d’Henri de Navarre l’héritier légitime de la Couronne. L’année suivante, la Ligue prend les armes entraînant un sursaut défensif des protestants et provoquant la plus longue des guerres civiles (1585-1598). Henri de Guise, chef de la Ligue, va passer des accords secrets avec Philippe II d’Espagne (traité de Joinville, 1584) : l’Espagne s’engage à barrer la route du trône à Henri de Navarre par tous les moyens. Le cardinal de Bourbon, oncle catholique d’Henri de Navarre, est reconnu comme héritier du trône, au nom de sa catholicité et au mépris de la loi salique. Aussi, Henri de Navarre est excommunié par le pape.
En 1585, Henri III, jouant un double-jeu, donne l’impression de se rapprocher du duc de Guise : il interdit le culte protestant et déchoie Henri de Navarre de ses droits à la Couronne. Il se réconcilie néanmoins peu après avec son successeur légitime et interdit aux Guise de rentrer dans Paris. Henri de Guise, contre la volonté du roi, entre dans la capitale et se fait acclamer par la foule, humiliant le roi (1588). L’appel par le roi de Suisses et de régiments français déclenche la journée des barricades, soulèvement populaire contraignant le roi à fuir et à laisser Guise maître de la capitale. Le roi convoque les états généraux à Blois mais se heurte à des députés ligueurs. Henri III mène alors un coup de force : lors de ces états généraux, il fait assassiner le duc de Guise par ses gardes et son frère le cardinal le lendemain. Cet acte, s’il prive la Ligue de ses plus hauts représentants, finit de discréditer le roi. Paris et de nombreuses provinces se soulèvent contre le « tyran ». Henri III, prenant appui sur Henri de Navarre, lutte contre la Ligue et finit par reprendre Paris après un long siège. En août 1589, il meurt assassiné par Jacques Clément, un moine fanatique. Sur son lit de mort, il confirme Henri de Navarre pour la succession.
Henri IV et la fin des guerres de religion (1589-1610)
La reconquête du royaume
Malgré le soulèvement des ultra-catholiques, Henri IV peut compter sur la fidélité de nombreuses villes. En effet, la plupart des capitales ligueuses, comme Toulouse, ne sont pas suivies par les villes de la région. Les troupes de Henri IV rencontrent de nombreux succès durant l’hiver 1589-90 et le roi s’emploie à justifier sa légitimité par le sort des armes. Se présentant comme de droit divin, il se rallie de nombreux aristocrates catholiques tandis que d’autres nobles, refusant de rejoindre l’un des deux partis, adoptent la neutralité. Certains villes résistent malgré tout comme Paris (à nouveau en rébellion), Reims ou Rouen. Henri IV comprend alors que la réunification du royaume ne peut passer entièrement par les armes, et finit par abjurer la foi protestante en juillet 1593. Le sacre du roi à Chartres le 27 février 1594, en affermissant sa légitimité, termine d’achever la reconquête et ouvre les portes de Paris le 22 mars. Le pape Clément VIII lève par ailleurs l’excommunication.
Conformément au traité de Joinville signé par Henri de Guise, l’Espagne est en guerre contre le nouveau roi de France. Henri IV bat les armées espagnoles et celles des ligueurs à Fontaine-Française (1595) et en 1598 signe avec l’Espagne le traité de Vervins qui rétablit les clauses du traité de Cateau-Cambrésis.
L’édit de Nantes (1598)
L’édit de Nantes, signé le 30 avril 1598, accorde aux protestants un statut quasi-définitif. 92 articles composent cet édit « perpétuel et irrévocable ». Le texte final est un compromis qui organise une coexistence inégale entre une religion catholique privilégiée et une religion protestante dont la liberté de culte est limitée.
Le catholicisme demeure la religion royale et son exercice est rétabli partout dans le royaume. La liberté de conscience est reconnue aux protestants sauf à Paris et dans une grande partie de la Bretagne. Des lieux de refuge et places de sûreté, pouvant être défendues par 30 000 soldats, leur sont concédés. Les réformés ne sont pas privés de leurs droits civiques et peuvent ouvrir des académies, néanmoins ils ne peuvent pas bâtir de nouveaux temples.
Aussi, l’édit assied un pouvoir royal élevé au-dessus des factions religieuses, le roi étant le garant de la paix civile. L’édit place le politique au-dessus du religieux, s’inscrivant dans la logique d’une construction absolutiste. Le croyant est distingué du sujet.
Trop tolérant pour les catholiques, insuffisant pour les protestants, l’édit se heurte à des résistances locales et les différents parlements de province tardent à l’enregistrer (1599 à Paris, 1609 à Rouen).
Reconstructions et restauration de l’autorité royale
Le roi Henri IV, une fois la guerre civile passée, s’attache à récompenser une noblesse fidèle par des pensions, distinctions honorifiques et nouvelles responsabilités. Le roi cherche alors à obtenir des nobles une fidélité sans faille, et se montre généreux aussi bien avec ses anciens ennemis qu’avec les nobles qui lui ont été dévoués. La noblesse participe ainsi à la restauration de l’autorité royale.
Maximilien de Béthune, duc de Sully, compagnon de longue date du roi Henri IV, va être placé aux finances avec pour mission de redresser l’économie du royaume, dévastée par 40 ans de guerres civiles. Il entreprend une politique de grands travaux qui passe par la rénovation des voies de communication et la relance de l’agriculture par toute une série de mesures (augmentation des surfaces cultivables, assèchement de grands marais, baisses des impôts pesant sur les paysans,…). Très bon gestionnaire, en 1607, il réussit par un véritable tour de force à rétablir le budget royal (les recettes excèdent les dépenses).
La centralisation se poursuit par une réorganisation de la perception de l’impôt et par l’amorce d’un processus d’uniformisation administrative.
La reconquête du royaume par Henri IV, premier Bourbon, ne se limite pas à une simple restauration constituant aussi une transformation de l’idéologie monarchique. Les traces des guerres civiles appuyées par une intense propagande préparent la voie à l’acceptation d’une monarchie autoritaire. L’assassinat du roi Henri IV le 14 mai 1610, par un dénommé François Ravaillac, va marquer l’ultime sursaut d’un ultra-catholicisme mourant d’impuissance face à la restauration de l’autorité royale. Ce meurtre sera le dernier des guerres de religion. Louis XIII, fils de Henri IV et de la princesse florentine Marie de Médicis, devient roi à l’âge de 9 ans.
Bibliographie :
BÉGUIN Katia, Histoire politique de la France. XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 2001.
BÉLY Lucien, La France moderne. 1498-1789, Paris, PUF, 2003.