Philisto

L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

La période qui s’étend du Xe au XIIIe siècle constitue une période charnière dans l’histoire de l’Eglise occidentale. Au Xe siècle, l’Eglise est très riche, disposant de vastes domaines fonciers grâce aux donations des souverains, seigneurs voire paysans. Sous les carolingiens, elle a grandement participé au vaste élan de christianisation en direction des campagnes et des pays encore païens. Au Xe siècle, l’imbrication entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel se renforce. L’immersion de l’Eglise dans la société féodale ne l’empêche néanmoins pas de poursuivre son élan religieux. Une réforme se prépare et se déploie au XIe siècle : la réforme grégorienne. Au XIIe siècle, l’Eglise est triomphante. Pourtant, cette situation n’empêche pas l’éclosion de mouvements hérétiques.

L’Eglise et le siècle

L’Eglise aux mains des laïcs

L’évolution de l’Eglise aux Xe et XIe siècles est indissociable des transformations politiques. La désintégration de l’ordre public provoque l’accaparement par les laïcs (rois, comtes, seigneurs) des biens ecclésiastiques. Dans l’ensemble de l’Occident, souverains et seigneurs nomment eux-mêmes les évêques ou exercent de fortes pressions pour imposer leur candidat, et certains choix se révèlent scandaleux. D’où le relâchement des moeurs et les deux grands maux du temps : la simonie (trafic et vente des sacrements, des dignités et des objets ecclésiastiques) et le nicolaïsme (dépravation des moeurs du clergé, se manifestant notamment par le refus du célibat). Même une partie du clergé régulier tombe sous la tutelle du pouvoir laïc.
Pour défendre leurs domaines fonciers, les clercs s’insèrent dans le système féodo-vassalique. Évêques et abbés deviennent des seigneurs, prêtant hommage aux puissants et s’entourant à leur tour de vassaux. La seigneurie ecclésiastique est quasi-identique à la seigneurie laïque, l’évêque conduisant même parfois ses hommes à l’ost royale ou princière.

Dès la fin du Xe siècle sont toutefois entrepris des efforts pour libérer au moins partiellement l’Eglise de l’emprise féodale. Scandalisés par les ravages de la guerre et par les exactions commises à l’encontre des biens ecclésiastiques et de leurs propriétaires, des clercs se réunissent dans un concile en 989 à Charroux (près de Poitiers) et décident de placer sous la menace d’excommunication tout individu ayant porté atteinte à un clerc ou un paysan. Ce concile inaugure le mouvement de la Paix de Dieu, pris en main après 1016 par Cluny. Aux Assemblées de paix des serments prêtés sur des reliques sont exigés de tous les chevaliers : interdiction d’attaquer les clercs et leurs biens, de dépouiller les paysans et les marchands, d’incendier les maisons, etc. La Paix de Dieu se prolonge au XIe siècle dans le mouvement de la Trêve de Dieu qui interdit l’usage des armes du jeudi au dimanche (souvenir de la Passion du Christ) et lors des grandes fêtes lithurgiques (Avent, Nöel, Carême, Pâques). Si les résultats sont médiocres, le mouvement influence les mentalités (l’idéal chevaleresque se tourne vers la protection du faible) et contribue à dégager la notion de guerres juste et injuste.

La réforme dite grégorienne

Bien avant l’avènement du pape Grégoire VII (1073-1086), qui donne son nom à la réforme, des réformes sont tentées pour « moraliser » le clergé et libérer l’Eglise de la tutelle des laïcs. Victor II (1055-1057) nomme plusieurs archevêques pour régler la question des abus. L’excommunication, les traités polémiques, les conciles locaux, la déposition sont autant de moyens pour lutter contre la dépravation des moeurs.

Les partisans de la réforme déjà entamée élisent Hildebrand, devenu Grégoire VII (1073), qui la porte à son terme. Grégoire VII souhaite réaliser sur terre le règne de Dieu, réformer le clergé, amender les moeurs des laïcs et corriger les institutions civiles. En 1075, il promulgue le Dictatus Papae, qui résume ses idées. Des Lorrains ou des Italiens, cardinaux, c’est-à-dire dignitaires importants de l’Eglise et électeurs du pape, mènent le combat de la réforme entre 1050 et 1120 contre les intrus ou les pêcheurs, parfois de manière violente. La plupart des évêques scandaleux sont remplacés entre 1050 et 1100 par des religieux. Dans l’ensemble, les princes montrent une vive hostilité à la réforme, comme le capétien Philippe Ier, le roi normand Guillaume, et surtout les souverains germaniques qui utilisent les évêques et abbayes en relais du pouvoir (d’où la « Querelle des Investitures » entre Henri IV et Grégoire VII).

La réforme porte surtout ses fruits à la tête de l’Eglise, c’est-à-dire en ses membres les plus importants. Le pouvoir du pape se trouve renforcé. Les évêques sont désormais élus canoniquement par des chanoines (prêtres séculiers entourant l’évêque qu’ils élisent et assistent dans ses fonctions) et confirmés par l’archevêque, responsable de toute la province concernée. Légats et évêques réussissent dans des proportions non négligeables, à restituer au clergé la désignation des curés et à obtenir le retour des dîmes, parfois confisquées aux Xe et XIe siècles par des seigneurs peu scrupuleux. L’obligation du célibat pour les prêtres est approximativement respectée ainsi que l’obligation du fidèle à ne dépendre que d’un seul curé (fixation du cadre de la paroisse).
Malgré tout, le clergé de base, en principe chargé de faire appliquer les décisions des conciles, se détériore. Les visites épiscopales du XIIIe siècle révèlent une triste vérité : concubinage, négligence, corruption, ignorance sont choses répandues dans le bas clergé. Certaines âmes exigeantes ne peuvent évidemment pas s’en satisfaire.

L’expansion chrétienne

Au Nord et à l’Est de l’Europe, des missions d’évangélisation, suscitées et soutenues par les rois de Germanie, sont menées chez les Slaves, Scandinaves et Hongrois. Le Danemark est christianisée au début du Xe siècle et le roi Harald Ier se fait baptiser vers 965. La Pologne est christianisée vers la fin du Xe siècle, le prince Mieszko Ier se convertit en 966 avant de prendre le titre de roi de Pologne. Les Slaves sont gagnés au christianisme au XIIe siècle grâce notamment à l’action d’Albert Ier de Brandebourg et de Henri le Lion, duc de Saxe. La christianisation des Hongrois est très progressive, débutant en 955 (défaite du Lechfeld) et se terminant à la fin du XIe siècle. La christianisation touche aussi la Prusse, les pays Baltes et la Russie par le biais des Chevaliers teutoniques (XI-XIIIe siècle). Au XIIe siècle, le roi de Suède, Eric IX le Saint, implante le christianisme dans le nord de son pays puis l’exporte en Finlande. Le Christianisme se diffuse aussi vers l’Espagne et le Moyen-Orient par le biais des croisades et de la Reconquista.

L’expansion du monachisme

L’abbaye du Cluny jusqu’à son apogée (X-XIe siècle)

En 909, Guillaume, duc d’Aquitaine, fonde l’abbaye de Cluny dans le comté de Mâcon (Bourgogne) qui prend rapidement de l’ampleur grâce à la forte personnalité de ses premiers abbés : Odon (927-942), Maïeul (948-994), Odilon (994-1049) et Hugues (1049-1109). En 996-999, le pape offre l’exemption à l’abbaye qui devient ainsi indépendante de toute autorité laïque, n’étant placée que sous l’autorité étroite du pape.
A Cluny, l’accent est mis sur la célébration de la messe et les prières pour les morts, avec un décor somptueux et des offices raffinés. Deux types de moines cohabitent à l’abbaye : les profès (qui se consacrent exclusivement à Dieu) et les convers (qui s’occupent des tâches agricoles et ménagères).
Urbain II accorde en 1088 à l’abbé de Cluny le privilège des pontificalia, habits réservés aux évêques (sandales, dalmatiques, mitre). Un réseau clunisien se forme et s’étend. Une monumentale abbatiale est bâtie, témoin de la puissance spirituelle et matérielle de l’abbaye. Forts de leur pouvoir, les abbés de Cluny deviennent des médiateurs ou conseillers dans toutes les affaires de la Chrétienté. A la fin du XIe siècle on compte 400 moines à Cluny et 1500 centres monastiques affiliés (prieurés, abbayes sujettes ou abbayes affiliées).

Crise et renouveau érémitique (XI-XIIe siècle)

En réaction au monachisme clunisien, vers 1080-1090, de nouveaux ordres apparaissent et se développent, proposant une forme de vie nouvelle marquée par la recherche de la pauvreté et la renonciation au monde. Ce courant rencontre un grand succès avec Cîteaux fondée en 1098 par Robert de Molesme, l’abbaye de Fontevraud fondée en 1101 par Robert d’Arbrissel (soutenue par les Plantagenêts) ou encore la Grande Chartreuse fondée en 1084 par Bruno de Cologne.

Les ordres religieux au XIIIe siècle

L’urbanisation et les hérésies marquent l’apparition d’une nouvelle forme de prédication incarnée par les Mendiants qui connaissent un vif succès mais aussi de solides inimités. Ils s’installent en ville et mettent l’accent sur la prédication, la mission et la pauvreté tout en conservant des aspects monastiques (habit distinctif, bâtiments, office divin). L’ordre dominicain, créé par le chanoine espagnol saint Dominique (1170-1221), est reconnu par Innocent III en 1215. Saint François d’Assise (1182-1226) fonde l’ordre franciscain. Les ordres militaires (les « moines soldats »), création des croisades, constituent un cas original. Ils sont composés essentiellement de chevaliers qui prétendent exercer une oeuvre pieuse : Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Templiers et Teutoniques en sont les principaux représentants.

Hérésies et hérétiques

Le catharisme

Contrairement à l’Orient byzantin, l’Europe de l’Ouest n’a pas connu une floraison d’hérésies. Cela s’explique probablement par le manque de « maturité » théologique des hommes d’Occident. Les déviants dogmatiques pourchassés par l’Eglise n’étaient que des pauvres gueux ou miséreux qui ne maîtrisaient même pas le latin. Brutalement apparaît un réel péril, probablement rapporté d’Orient par les croisés. La doctrine cathare, inspirée des croyances dualistes orientales, assimile la Matière au Mal et l’esprit au Bien, ces deux principes étant en lutte constante. La chair, le sexe, la nourriture sont considérés comme impurs. Dieu étant le Bien, il ne peut pas être fait de chair. L’Incarnation (Jésus) n’est donc qu’un piège du démon et le Christianisme une idôlatrie. Plus qu’une hérésie, le catharisme est une autre religion.

L’Eglise réagit rapidement et pourchasse les Cathares dès 1150, le long du Rhin, en Lombardie, en Catalogne. Mais dès 1185, le danger croît : les cathares s’organisent, se choisissent des évêques et des prêcheurs que sont les « Parfaits ». La noblesse, notamment le comte de Toulouse, mais aussi des gens de tous milieux sont attirés par cette nouvelle religion. 6 à 8 % de la population du Midi aurait été touchée. Le roi de France restant prudent, le pape Innocent III utilise la cupidité des hommes d’armes du Nord et appelle à la croisade.

Les expéditions, très violentes, ravagent le sud de la France entre 1207 et 1229. Malgré la défaite des Cathares, l’hérésie connaît quelques sursauts jusque vers 1260. Du point de vue de l’histoire générale de la France, la guerre contre les cathares a permis aux Capétiens d’avoir accès à la Méditerranée et d’amorcer l’union entre les pays d’oïl et d’oc.

Le valdéisme

L’hérésie vaudoise apparaît avec Pierre Valdo (1140-1206), ou Valdès, dans les années 1170 dans la paroisse Saint-Nizier à Lyon. Riche marchand de la ville, il éprouve le désir de vivre plus proche du Christ et vend tous ses biens pour suivre l’idéal de la pauvreté apostolique (la pauvreté des apôtres). Il commence à prêcher la bonne parole dans les rues de Lyon (interdit par l’Eglise aux laïcs) et forme un cercle de disciples. Ils sont chassés de Lyon par l’archevêque local et excommuniés en 1184 lors du concile de Vérone. Valdès et ses disciples commencent alors une vie d’errance, faisant l’aumône et travaillant en tant qu’ouvriers agricoles. Si les Vaudois se considèrent toujours comme membres de l’Eglise, ils nient l’Eucharistie et ne respectent pas les consignes du clergé. Persécutés, ils se réfugient dans les vallées alpines d’Italie où ils résistent à l’Inquisition grâce à une pratique discrète de leur foi. L’Eglise vaudoise a survécu tant bien que mal jusqu’à nos jours.

Les armes de l’Eglise

A la fin du XIIe siècle, l’échec des missions contre les hérétiques conduit l’Eglise à envisager d’autres moyens de lutte. Il est décidé d’un encadrement plus étroit des fidèles : de nouveaux diocèses sont créés dans le Midi, plus petits, afin de rapprocher les évêques des croyants. L’Eglise mise aussi sur un enseignement de haut niveau et fonde des universités, libérées des pouvoirs laïcs et épiscopaux, enseignant la théologie, les arts libéraux, le droit et la médecine. Toulouse voit ainsi la création d’une université en 1229 dans le cadre de la répression contre les Albigeois. Pour juger les hérétiques, l’Eglise fonde à la fin du XIIe siècle un tribunal spécialisé, l’Inquisition, confié aux Dominicains. Les inquisiteurs interrogent, se déplacent, et après une enquête minutieuse peuvent condamner les hérétiques au port de la croix, à des amendes, à des pèlerinages, à la prison, quelques-fois à la mort. L’alliance de ces divers modes de lutte aboutit peu à peu à la disparition des grandes hérésies.

Bibliographie :
Balard, Michel ; Genet, Jean-Philippe ; Rouche, Michel. Le Moyen Âge en Occident. Hachette supérieur, 1999.
Berstein, Serge ; Milza, Pierre. De l’Empire romain à l’Europe. Ve-XIVe siècle (Tome 2). Hatier, 1995.
Heers, Jacques. Précis d’histoire du Moyen Âge. PUF, 1990.

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