« Civilisation judéo-chrétienne » entendons-nous depuis des décennies : dans les faits, une telle expression a-t-elle encore un sens ? Rites et aide à son prochain, prophètes et vocation humaine, approches de la Bible et nature conférée au divin diffèrent profondément entre deux spiritualités qui, bien que cousines sous l’ère antique, ont fini par affirmer leurs divergences sous la double empreinte de leurs textes sacrés et de l’Histoire.
De premières divergences entre les religions juive et chrétienne s’affirment d’abord au sein des pratiques rituelles, de la miséricorde dont la pratique diffère selon les Textes saints ainsi qu’à travers l’éphémère épopée de Jésus-Christ, à l’égard duquel deux interprétations s’opposent, l’une croyant y reconnaître un Messie envoyé par Dieu et l’autre n’y voyant qu’un imposteur.
Fêtes et rites judaïques
A contrario des élites publiques chrétiennes ayant rejeté plusieurs fêtes à caractère judaïque tendant à évoquer par leurs origines même le refus du christianisme, le judaïsme établit certaines célébrations et rites censés perpétuer une tradition identitaire. Parmi eux pouvons-nous ainsi citer la circoncision, pratiquée tant par les milieux juifs orthodoxes que par les musulmans traditionalistes. Consistant dans l’ablation totale ou partielle du prépuce, elle touche un tiers de la population masculine mondiale et cherche, au sein du judaïsme, à symboliser l’alliance ancestrale pratiquée entre Yahvé et le prophète Abraham puis le peuple d’Israël ainsi qu’à inscrire l’entrée dans la religion juive au sein de la chair par un processus irréversible. Il s’agit d’une pratique permettant de favoriser la cohésion de la communauté ciblée.
Au côté de la circoncision prennent place le Shabbat et le Yom Kippour : le premier est un jour de repos assigné au septième jour de la semaine juive, le samedi, face auquel s’oppose le repos dominical des chrétiens.
Certes la divergence ne porte pas sur un ordre foncièrement spirituel puisque nous rapportant au même principe biblique de repos lors du dernier jour de la semaine, mais portant plutôt sur un plan cultuel, la semaine juive n’étant guère identique à celle qu’entretiennent les milieux chrétiens : « Souviens-toi du jour du repos, pour le sanctifier. Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. Mais le septième jour est le jour du repos de l’Éternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui est dans tes portes. Car en six jours l’Éternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi lÉternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié » (cf. Exode 20, 8-11).
Connu également sous l’appellation de Jour du Grand Pardon, le Yom Kippour se produit selon les années, soit en septembre soit en octobre du calendrier grégorien. Or une telle fête, tout comme celle du Shabbat pour une interprétation de calendrier, demeure officiellement absente -et non pratiquée- dans le sein des États d’Europe depuis l’expansion du christianisme réalisée sous l’ère antique, érigeant par ce fait une différence de civilisation entre collectivités judaïques et sociétés chrétiennes.
Miséricorde : l’oxymore judéo-chrétien
C’est à l’égard de la miséricorde censée être délivrée à son prochain que dévient, une fois de plus, les confessions ici traitées. Au sein du Talmud, pierre angulaire du judaïsme de l’après-Christ, s’inscrivent une série de règles opposant frontalement le juif face au goy, c’est-à-dire face à l’individu n’ayant pas embrassé le judaïsme. Parmi les diverses sentences ayant imprégnées la pensée moderne de la communauté ciblée, prend ainsi place une règle sur la charité qui, soulignant la rupture entretenue dans la pensée judaïque entre juifs et goyim, dispose qu’ « il ne faut pas sauver le goy en danger de mort » (cf. Talmud, Hilkkoth X, 1), qu’ « il faut éviter l’aide médicale des goyims » (cf. Talmud, Peaschim 25a) et que « les Juifs baptisés doivent être mis à mort » (cf. Talmud, Hilkhoth X, 2). Au rebours du christianisme prêchant l’amour vis-à-vis de son prochain et ne reconnaissant aucune distinction entre les êtres puisque tous étant reconnus par Dieu (cf. Épître aux Galates 3, 28), le monothéisme juif introduit dans un de ses textes fondamentaux une vision ségrégationniste qui par ailleurs, n’est pas circonscrite au seul domaine de la miséricorde et de l’amour dont doivent disposer les hommes au-delà même de leur origine et religion individuelles.
Jésus-Christ
Une idée largement répandue fait croire que Dieu condamne l’accès humain à la connaissance, symbolisée par la mésaventure d’Adam et Eve ; mais l’Homme pêche, en fait, pour avoir plutôt obtenu la connaissance du Bien et du Mal. Ce que le concepteur de l’univers ne peut accepter étant donné qu’Adam et Eve peuvent alors d’eux-mêmes juger de ce qui est bien, de ce qui ne l’est pas, en violation de la Parole : ce qui est bon est seulement ce que Dieu a dit. Pourquoi le Messie critique-t-il aigrement les Pharisiens au sein du Nouveau Testament sinon parce que ceux-ci respectent une morale judaïque inspirée par les Hommes, plutôt que par la volonté de l’Éternel ? Jésus-Christ n’a de cesse de bafouer les préceptes israélites, s’acheminant ainsi inéluctablement vers le chemin de la Passion qu’il souffrira à l’extrême degré sur la croix. Ne cessant de s’affranchir de la morale juive, l’Envoyé de Dieu ne prêche pas de morale mais se limite à répliquer « suis-moi » à tel ou tel de ses apôtres (cf. par exemple Évangile selon Saint Matthieu 9, 9). Moïse Mendelssohn (1729-1786) écrit que « ce n’est ni la mer Rouge ni la manne qui consacre Moïse : sa mission, c’est la Loi reçue sur le Sinaï. Toute la nation en fut témoin, entendant le tonnerre avec ses oreilles et voyant la flamme avec ses yeux. Et c’est la raison pour laquelle la nation juive ne peut croire à aucun miracle demandant de s’écarter de la Loi ».
Finalement le Christ termine-t-il son prêche en Galilée par son arrestation. Cela dit, le consul romain Ponce Pilate permet aux Pharisiens, lors de leurs fêtes, d’obtenir la libération d’un de leurs détenus : refusant celle de Jésus, celui-ci est finalement crucifié. Encore aujourd’hui, les Juifs ne considèrent pas que Jésus de Nazareth fut le véritable envoyé de Dieu tandis que le Nouveau Testament part du constat, au demeurant dressé par les multiples miracles opérés par le Christ (cf. par exemple Évangile selon Saint Marc 2, 3-12 et Évangile selon Saint Luc 5, 12-13), que ce dernier l’était pourtant. Comme le fait remarquer Javier Teixidor, « Pour le juif, la Rédemption n’a pas encore eu lieu, le Messie est toujours attendu ; cette position religieuse conditionne nécessairement la vision de l’Histoire. Le judaïsme conjecture sur la Rédemption comme lévénement en-deçà de la mort ; pour le christianisme, c’est au-delà de la mort que le salut s’installe : la Rédemption a déjà eu lieu. »
Par ce fait les Juifs espèrent-ils encore la venue de leur Messie alors que les chrétiens en espèrent le retour qu’annoncent les Évangiles : « Et il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur la terre, les nations seront dans l’angoisse, inquiètes du fracas de la mer et des flots ; des hommes défailliront de frayeur, dans l’attente de ce qui menace le monde habité, car les puissances des cieux seront ébranlés. Et alors on verra le Fils de l’homme venant dans une nuée avec puissance et grande gloire » (Évangile selon Saint Luc 21, 25-27).
Mais entre le judaïsme et le christianisme, les différences ne s’inscrivent pas seulement par rapport aux rites, à la pitié censée être prodiguée à l’égard de son prochain, et vis-à-vis du rôle assigné à Jésus-Christ. En effet, l’opposition de ces deux religions porte également son empreinte sur la nature supposée de Dieu ainsi que le démontrent de nombreux passages de la Bible hébraïque, ainsi que sur leur manière d’approcher l’Ancien Testament et d’établir leur religion dans le cadre d’une Humanité vis-à-vis de laquelle, ici encore, de profondes différences tendent à s’affirmer et dont les conséquences distinguent absolument une société dite juive, d’une société à caractère chrétien.
Dieu des juifs, Dieu des chrétiens
Une telle différence entre judaïsme et christianisme, est également perceptible au sein d’un texte fondamental que partagent avec quelques divergences cependant, les confessions ci-dessus citées. Au yeux des chrétiens, la Bible conjugue Ancien et Nouveau Testament, corrigeant ainsi dans les Évangiles le caractère conquérant et jaloux que le dieu hébraïque démontre à plusieurs occasions. Un tel caractère éclate particulièrement à l’oeil du lecteur compulsant le Livre de Josué, du nom de ce personnage mythique qui, successeur de Moïse, détient la lourde charge de guider le peuple de Yahvé à destination de la célèbre Terre Promise.
Suite à un triomphe militaire des Philistins contre leurs ennemis israélites, l’Arche d’Alliance, coffre dans lequel étaient rangées et transportées les Tables de la Loi, est saisie comme butin de guerre par le peuple adverse. Celle-ci est alors acheminée jusqu’à Ashdod, sur laquelle l’Ancien Testament nous précise que « la main de Yahvé sappesantit sur les Ashdodites [une des cinq villes des Philistins] : il les ravagea et les affligea de tumeurs, Ashdod et son territoire » (Premier Livre de Samuel 5, 6). Entre tous les princes philistins est-il convenu d’emporter l’Arche en procession à Gat, autre cité. « Mais après qu’ils leurent emmenée, la main de Yahvé fut sur la ville ; ce fut une très grande panique. Il frappa les gens de la ville, du plus petit jusqu’au plus grand, et des tumeurs leur poussèrent » (Premier Livre de Samuel 5, 9). Plus tard, une fois la Sainte Arche parvenue à Eqron, est-il précisé : « les gens qui ne mouraient pas étaient affligés de tumeurs et le cri de détresse de la ville montait jusqu’au ciel » (Premier Livre de Samuel 5, 12).
Ici est singulièrement marquée la divergence entre la cruauté de Yahvé et la miséricorde du Dieu des chrétiens. Peu à peu s’affirme presque ce que nous pourrions appeler, en effet, une espèce d’ethnocentrisme : le peuple israélite reçoit la promesse d’une terre que lui conférerait la parole céleste. « Après la mort de Moïse, serviteur de Yahvé, [il] parla à Josué, fils de Nûn, l’auxiliaire de Moïse, et lui dit ‘Moïse, mon serviteur, est mort. Maintenant, debout ! Passe le Jourdain que voici, toi et tout ce peuple, vers le pays que je donne aux Israélites. [
] Personne, tout le temps de ta vie, ne pourra tenir devant toi ; je serai avec toi comme j’ai été avec Moïse, je ne t’abandonnerai point ni ne te délaisserai » (Livre de Josué 1, 1-2-5). Plus loin s’opère le renouvellement du dessein que lÉternel réserve à son peuple : « Tout lieu que foulera la plante de vos pieds, je vous le donne, comme je l’ai dit à Moïse. Depuis le désert et le Liban jusqu’au grand Fleuve, l’Euphrate, tout le pays des Hittites, et jusqu’à la Grande mer, vers le soleil couchant, tel sera votre territoire » (Livre de Josué 1, 3-4). Cela fait écho à ce que d’aucuns considèrent comme un acte de consécration aux israélites de la Palestine ancestrale, et remontant aux plus lointaines origines du monde. « Ce jour-là Yahvé conclut une alliance avec Abraham. Il lui dit : ‘À ta postérité [la descendance] je donne ce pays, du Fleuve dÉgypte jusqu’au Grand Fleuve, le fleuve d’Euphrate’ » (Genèse 15, 18).
En résonance à ces paroles va s’ériger, au sein de l’Ancien Testament, le caractère quasi-impérialiste d’un Éternel qui, soutenant une population élevée au rang de Peuple Élu, s’applique à livrer aux israélites la portion territoriale censée leur revenir par décret de droit divin : « Vois ! Je livre entre tes mains Jéricho et son roi, gens d’élite » (Livre de Josué 6, 2) s’exclame Yahvé avant de préciser la marche à suivre afin que les remparts de Jéricho puissent s’écrouler. Il s’ensuit, après la bataille, que Jéricho, vaincue, se retrouve vouée à l’anathème ; ainsi quiconque en tire un objet voue à la même sentence implacable le peuple vainqueur. Akâm s’en rend coupable, ayant dérobé une grande quantité de pièces ainsi qu’un lingot d’or. Cet épisode démontre l’absence de pitié que Yahvé éprouve par rapport au pêcheur.
En effet, la divinité hébraïque communique alors avec Josué priant, lui confiant qu’ « Israël a pêché, il a violé l’alliance que je lui avais imposée. Oui ! on a pris de ce qui était anathème, et même on l’a dérobé, et même on l’a dissimulé, et même on l’a mis dans ses bagages. […] Si vous ne faîtes pas disparaître du milieu de vous l’objet de l’anathème, je ne serai plus avec vous. Lève-toi, sanctifie le peuple et tu diras : Sanctifiez-vous pour demain, car ainsi parle Yahvé, le Dieu d’Israël. L’anathème est au milieu de toi, Israël ; tu ne pourras pas tenir devant tes ennemis jusqu’à ce que vous ayez écarté l’anathème du milieu de vous » (Livre de Josué 7, 11-13). Il est déclaré que le sort tendra à livrer au Peuple Élu la connaissance du coupable, et que celui-ci « sera livré au feu, lui et tout ce qui lui appartient, pour avoir transgressé l’alliance avec Yahvé et avoir commis une infamie en Israël » (Livre de Josué 7, 15).
L’esprit conquérant et exclusif du dieu hébraïque se traduit également par une série de conquêtes sanglantes en pays de Canaan et produites en compagnie d’une bénédiction octroyée par le Ciel : « Josué s’empara de Maqqéda et la fit passer, ainsi que son roi, au fil de l’épée : il les voua à l’anathème avec tout ce qui se trouvait là de vivant, il ne laissa pas un survivant ; il traita le roi de Maqqéda comme il avait traité le roi de Jéricho. Josué, avec tout Israël, passa de Maqqéda à Libna, qu’il attaqua. Yahvé la livra aussi, avec son roi, entre les mains d’Israël qui la fit passer au fil de l’épée avec tout ce qui s’y trouvait de vivant ; il n’y laissa pas un survivant » (Livre de Josué 7, 28-30). Après avoir exterminé les cités antérieurement nommées, Josué poursuit l’invasion militaire des autres cités méridionales de Canaan : « Yahvé livra Lakish entre les mains d’Israël qui s’en empara le second jour et la fit passer au fil de l’épée avec tout ce qui s’y trouvait de vivant, tout comme il avait agi pour Libna. C’est alors que le roi de Gézer, Horam, monta pour secourir Lakish, mais Josué le battit, ainsi que son peuple, jusqu’à ce qu’il ne lui laissât pas un survivant » (Livre de Josué 7, 32-33).
Même fin pour Églôn : « Ils s’en emparèrent le jour même et la firent passer au fil de l’épée. Il voua à l’anathème, en ce jour-là, tout ce qui s’y trouvait de vivant, tout comme il avait agi pour Lakish » (Livre de Josué 7, 35). S’il faut ainsi en croire l’un des textes fondamentaux du judaïsme, les Juifs sont, par les faits mentionnés, de lointains auteurs d’exterminations massives de populations. Terminons par une autre citation biblique, tirée cela dit d’une autre partie que celle dédiée aux exploits israélites en Canaan : celle consacrée au prophète Jérémie.
Une fois de plus, le dieu des Hébreux ne manque pas de bellicisme s’il faut en croire les Écritures : « Oui, Yahvé anéantit les Philistins, le reste de l’île de Kaphtor. La tonsure a été infligée à Gaza, Ashqelôn est réduite au silence. Toi qui restes de leur vallée, jusqu’à quand te feras-tu des incisions ? Hélas, épée de Yahvée, jusqu’à quand seras-tu sans repos ? Rentre en ton fourreau, arrête, calme-toi ! Comment se reposerait-elle quand Yahvé lui a donné des ordres ? Ashqelôn et le rivage de la mer, voilà les buts fixés » (Jérémie 47, 4-7).
Remarquons, de surcroît, que les paroles que destine Yahvé au peuple des israélites, préfigurent la justification du sionisme de même que la déclaration Balfour de 1918 autorisant la fondation d’un État juif en Palestine : la diplomatie et l’histoire contemporaines tirent, en fait, l’une de leurs clés d’un texte vieux de sans doute plus de deux millénaires et demi. Si les Nations-Unies condamnent dès 1968, en effet, l’installation de colonies israéliennes sur le territoire de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, il est également intéressant de noter que l’axe majeur du conflit israélo-palestinien réside dans la constitution de colonies afin de réaliser l’Israël définitif ou « Grand Israël » qui n’est en définitive rien d’autre que le parachèvement terminal du serment divin, l’État juif s’étendant alors du Nil jusqu’à l’Euphrate. Il devient fort difficile de concevoir, dans ces conditions, un démantèlement de quelque colonie que ce soit puisque répondant à un dessein que les Israéliens considèrent à la fois comme sacré et légitime.
Caractères de l’Ancien et du Nouveau Testament
Aborder l’Ancien Testament permet, une fois de plus, de prendre connaissance d’une divergence non-négligeable entre judaïsme d’une part, et christianisme d’autre part : alors que les Hébreux constitués en diaspora et expulsés de Palestine considèrent l’Ancien Testament comme étant un point d’arrivée, les chrétiens voient en lui, ainsi que le note Javier Teixidor, le départ vers la « Bonne Nouvelle » que prêchera le Christ au cours des pages du Nouveau Testament, que les Juifs considèrent par ailleurs comme faux.
Cet Ancien Testament, s’il est contigu aux Évangiles, est également source de discordes entre judaïsme et christianisme au plan financier. Jacques Attali, reprenant la thèse méconnue du sociologue allemand Werner Sombart, soutient l’idée selon laquelle le monothéisme juif est la matrice originelle du capitalisme, corrigeant par conséquent l’ouvrage de Max Weber quant à la conjonction longtemps supposée et favorisée par le climat de domination anglo-saxonne au XXe siècle, entre l’éthique puritaine et l’esprit d’accumulation de richesses consubstantiel au système capitaliste ayant supposément fait naître l’économie de marché aux Pays-Bas et en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles. Certains commentateurs de la Bible ont su mettre en exergue la discorde régnant au sein du rapport entre un Ancien Testament considérant la richesse matérielle sous un regard positif et un Nouveau Testament la rejetant.
Au sein de la Bible hébraïque, nous lisons par exemple qu’ « Isaac fit des semailles dans ce pays et, cette année-là, il moissonna le centuple. Yahvé le bénit et l’homme s’enrichit, il s’enrichit de plus en plus, jusqu’à devenir extrêmement riche. Il avait des troupeaux de gros et de petit bétail et de nombreux serviteurs » (Genèse 26, 12-14). Isaac aura plus tard un enfant appelé Jacob, et la bénédiction du Très-Haut lui répercute ses faveurs matérielles : « [Il] s’enrichit énormément et il eut du bétail en quantité, des servantes et des serviteurs, des chameaux et des ânes » (Genèse 30, 43). Précisément la parole du Christ, contenue au sein des Évangiles, amorce-t-elle une modification du rapport aux biens de ce monde, tel qu’en témoigne la parabole du riche venant à la rencontre de Jésus : « Comme il est difficile à ceux qui ont des richesses de pénétrer dans le Royaume de Dieu ! Oui, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu » (Évangile selon Saint Luc 18, 24-25). Et Jacques, présenté comme serviteur de Dieu et de Jésus-Christ, renchérit plus loin sur un ton semblable : « Que le frère d’humble condition se glorifie de son exaltation et le riche de son humiliation, car il passera comme la fleur d’herbe » (Épître de Saint Jacques 1, 9-10).
Spécificité judaïque et universalisme chrétien
A contrario du judaïsme, le christianisme détient une vocation universaliste : chacun de nous peut ainsi par sa propre conversion participer à luvre de Dieu, tandis que les Juifs entretiennent à l’égard de leur confession une vision tout à fait singulière. En effet, un individu est juif s’il est lui-même né d’une mère juive : en d’autres termes, les Juifs portent sur leur religion une approche que nous pourrions qualifier de physique. Pour certains d’entre-eux appartenant généralement à une frange fondamentaliste, une telle vision tend même à élever la condition juive au rang de la judéité, c’est-à-dire d’une approche plaçant la condition juive au-delà des autres traits de leur personnalité. En tous les cas, la religion de Moïse reste observée par ses propres adeptes comme étant rattachée en premier lieu au peuple israélite, d’une manière beaucoup plus restrictive que ne l’est le christianisme dont la vocation, de même que l’Islam, consiste à englober toute l’Humanité au service de Dieu sans distinction aucune.
Remarquons par ailleurs que les répétitions multiples de l’expression « Yahvé, dieu d’Israël » au cours des pages de l’Ancien Testament (par exemple Livre des Juges 6, 8), trahissent la spécificité de l’alliance entretenue entre les Hébreux, d’une part, et Yahvé d’autre part. Révélatrice à cet égard, est la parole céleste de l’Ancien Testament à destination des israélites : « Ainsi parle Yahvé, Dieu d’Israël. C’est moi qui vous ai fait monter dÉgypte, et qui vous ai fait sortir d’une maison de servitude. Je vous ai délivrés de la main des Égyptiens et de la main de tous ceux qui vous opprimaient. Je les ai chassés devant vous, je vous ai donné leur pays, et je vous ai dit : ‘Je suis Yahvé votre Dieu. Vous ne craindrez pas les dieux des Amorites dont vous habitez le pays’ » (Livre des Juges 6, 8-10).
Il n’est évidemment pas question au sein de l’Ancien Testament d’un Père de tous les Hommes ; vision qu’entretient cependant le christianisme, opérant par ce fait une divergence irréconciliable d’avec le judaïsme. Comme le remarque l’apôtre Paul, « il n’y a ni hommes ni femmes, ni Juifs ni Grecs, ni hommes libres ni esclaves, vous êtes tous un en Jésus-Christ » (Épître aux Galates 3, 28) : autrement dit, tout être humain bénéficie d’un amour inconditionnel de la part du Très-Haut que décrit le Nouveau Testament.
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Cet article a été rédigé dans une neutralité aussi nette que possible. Certes ne nous appartient-il pas de porter quelque jugement de valeur vis-à-vis du judaïsme ou du christianisme, sujets de l’article présent : nous ne sommes point des théologiens et tout mode d’argumentation critique opérée à l’égard d’une religion ne peut pas réellement s’affirmer objectif puisque conditionné par le double facteur de notre propre civilisation ainsi que du mode critique que celle-ci imprègne de manière tout à fait inconsciente à ses membres. Néanmoins avons-nous jugé préférable dans l’intérêt de la connaissance historique, d’établir un plan d’explication permettant d’échapper à l’utilisation irréfléchie du terme « judéo-christianisme », aucun pays européen ne s’étant jamais proclamé ainsi, le seul pays l’ayant fait se trouvant être les États-Unis d’Amérique par le fait de la forte proportion de juifs contenue dès l’origine de sa colonisation. D’autres divergences sont à signaler et notamment d’alimentation, de symboles ainsi que de langues : mais pour une question de commodité n’avons-nous voulu inclure que les plus importantes qui, à elles seules, permettent maintenant d’apporter une critique argumentée à l’encontre du mensonge historico-religieux selon lequel le contenu spirituel dont se réclament des sociétés chrétiennes et des sociétés de culture juive concorderait.
Bibliographie :
TEIXIDOR Javier, le judéo-christianisme, Mesnil-sur-l’Estrée, éditions Folio, 2006.
ATTALI Jacques, les Juifs, le monde et l’argent, éditions du Livre de Poche, 2003.
ELLUL Jacques, la subversion du christianisme.
Collectif, la Bible de Jérusalem, Paris, éditions du Cerf, 2009.
NEHER André, l’Identité juive, Paris, éditions Payot, 1996.