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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Le poujadisme s’inscrit sur un plan historique puisque continuateur d’une tradition de rébellion fiscale, généralement des classes moyennes, face aux prélèvements étatiques. Né en juillet 1953 à la faveur d’une convergence de trois éléments économiques et syndicaux, le dit « mouvement Poujade » vécut son apogée en janvier 1956 lorsque, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale survenue le mois précédent, 52 députés poujadistes graviront les marches de l’hémicycle. Inquiétude chez les intellectuels communistes et les hommes politiques, mais de cette élection découle également l’irrésistible déclin du papetier Pierre Poujade et de ses partisans jusqu’à l’extinction définitive de leur voix en 1958.

Contexte économique, social et syndical

La fiscalité abusive

Le premier facteur à l’origine de la rapidité du développement du mouvement Poujade s’inscrit dans un cadre fiscal : depuis 1952, les petits commerçants sont en difficulté puisque la pression du fisc a considérablement augmenté. Or, cette période coïncide avec un ralentissement de l’inflation dont profitaient les commerçants jusque-là, ceux-ci pouvant alors répercuter le paiement de leurs impôts sur les produits qu’ils vendaient. La monnaie a cessé de se déprécier ce qui, en conséquence, a accru le montant réel des impôts. En 1953 la situation devient insupportable pour les commerçants et artisans car l’on assiste à une stagnation économique que viennent aggraver, pour ces mêmes couches sociales, des mesures prises par le gouvernement Pinay (1952-1953) alourdissant les sanctions en cas de dérobade au paiement ou, simplement, de non satisfaction aux critères de contrôle fiscal.

Les dérapages des inspecteurs du fisc

Il faut noter que, de plus, les méthodes employées par l’administration fiscale sont chaque fois plus exigeantes et plus rigoureuses : elle procède à de nombreux contrôles chez les artisans et commerçants qui, de leur côté, jugent offensant le fait que des fonctionnaires s’introduisent au sein de leur boutique pour examiner leur comptabilité. Les petits commerçants considèrent que leur arrière-boutique est un lieu de travail, que c’est une parcelle de leur vie privée ; or il se trouve que la plupart d’entre-eux ne tiennent pas de comptabilité ou du moins, pas dans la forme que souhaiterait l’administration bureaucratique. Et en ces cas de figures, les sanctions ont été renforcées par Antoine Pinay.

Une trop faible opposition ?

Les syndicats traditionnels des petits commerçants et des petits artisans sont considérés, par les professions citées ci-dessus, comme étant beaucoup trop faibles et surtout, trop complaisantes vis-à-vis du pouvoir politique et de l’administration. Les syndicats sont divisés en de nombreux groupuscules (au sens neutre du terme), avec peu d’adhérents dont les représentants se bornent à des paroles d’indignation face aux hausses des prélèvements et aux contrôles fiscaux.
En cette période de crise les artisans et commerçants considèrent ainsi qu’une réponse de plus grande ampleur et plus véhémente se doit d’être donnée au gouvernement afin de préserver ce qu’ils considèrent comme l’existence même de leur couche sociale : il s’agit donc pour eux d’une question de survie. De cette manière tout est réuni pour qu’un vaste mouvement radical de contestation fiscale et de défense professionnelle parte en croisade contre les excès de l’État.

Débuts de la révolte fiscale

Les « petits » contre les « gros » : opposition aux contrôles


Le symbole le plus évident de cette contestation à l’égard des contrôles fiscaux menés par l’administration, reste sans doute celle qui enfanta le mouvement : le 22 juillet 1953 Pierre Poujade, conseiller municipal ex-RPF du paisible village de Saint-Céré, dans le Lot, est alerté par un conseiller communiste rival qu’un contrôle fiscal se tiendra en juillet, chez un marchand de chaussures. Excédés par ce qu’ils jugent comme des méthodes dictatoriales (l’expression de « Gestapo fiscale » se retrouvera souvent dans les discours ultérieurs), les commerçants et artisans du village se réunissent aussitôt chez Pierre Poujade où ils décident de barrer la route, ensemble, au contrôleur du fisc dépêché sur place. L’incident se produit ainsi : l’émissaire fiscal s’insurge face au barrage qui lui est dressé. « Ainsi monsieur, vous refusez de nous donner votre comptabilité ? » dit-il. Poujade réplique : « Cet homme ne refuse pas mais s’il sort sa comptabilité nous nous en emparerons, car nous refusons les contrôles ». Le contrôleur, à son tour : « Monsieur, l’administration a décidé qu’avant la fin d’août, tous les contrôles seraient terminés ». Enfin, Poujade lance : « Vous direz à l’administration que désormais, il n’y aura plus de contrôle ».

Défaite pour l’État. Un nouveau contrôle est décrété en novembre de la même année, policiers à l’appui. À nouveau, farouche résistance des commerçants et, une fois encore, échec du fisc qui repart vaincu. C’est à cette occasion que les artisans et petits commerçants décident de mettre sur pied une organisation plus véhémente que les associations traditionnelles ; ce sera l’UDCA (Union de Défense des Commerçants et des Artisans), dont le siège se situe précisément à Saint-Céré. L’affaire fait mouche aux alentours, elle est assurée par les journaux, la radio, et aussi par le bouche-à-oreilles de commerçants enthousiastes.
Poujade lui-même n’est point étranger à cette rapide progression : d’abord au niveau départemental, régional puis enfin national, le jeune leader sillonne les routes de France à bord de sa camionnette pour prêcher la bonne parole syndicale, tapant sans relâche aux portes pour distribuer prospectus du mouvement et tenir réunions informatives. En un mot, le mouvement se démocratise, il s’ouvre aux masses. Le premier congrès de l’UDCA a lieu le 29 novembre 1953 à Cahors.

Les petits commerçants et artisans sont séduits par l’idée d’une ferme opposition : le poujadisme s’implante bientôt à Pélussin (Loire), Bussières-Badil (Dordogne), à Tournon (Ardèche). Des organisations locales de l’UDCA sont régulièrement mises sur pied, comme à Capdenac (Aveyron), Mauriac (Cantal) et Tulle (Corrèze). C’est au cours d’une opposition au fisc que le mouvement amasse ses premières adhérents locaux. Toute la France est progressivement ratissée par l’UDCA, et Pierre Poujade anime meeting sur meeting, flattant les espoirs des uns avec des mesures fiscales qu’il veut égalitaires, et exacerbant pour les autres la haine de parlementaires que tous méprisent : « Si nous pouvons faire des programmes, à quoi cela sert-il d’avoir des députés ? » L’UDCA, enfin, absorbe soit officiellement les syndicats concurrents, soit aspire leurs adhérents qui préfèrent l’activisme à la simple protestation face au fisc : c’est le cas avec la CGPME.

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Le fisc, le PCF et les méthodes musclées du mouvement Poujade

Les communistes ont initialement soutenu le mouvement avec l’idée que celui-ci leur permettrait de prendre en sous-main le contrôle sur d’autres couches sociales qui se refusent à eux. Le PCF a des arrières-pensées. Mais l’orientation droitière du chef national éloigne les communistes : Pierre Poujade, formé à l’école de l’Action Française puis à celle du PPF (Parti Populaire Français) de Jacques Doriot, reprend certains refrains de ses ancêtres idéologiques. Il en vient même à appeler à tuer Pierre Mendès-France (qu’il considère comme le symbole du traître à la République notamment pour son abandon de l’Indochine) comme Charles Maurras demandait, autrefois, à ce que l’on fusille Léon Blum.
Sur le terrain, la rupture avec le PCF devient virulente : des purges se produisent au sein de l’UDCA et, particulièrement, au sein du Bureau départemental de la Haute-Garonne dont les cadres communistes se font expulser. En 1954 les poujadistes empêchent bruyamment l’orateur Waldeck-Rochet de tenir discours.

Parallèlement à cette divergence entre le PCF et Pierre Poujade, les méthodes employées par les poujadistes en vue d’obtenir gain de cause se font plus véhémentes au cours de l’année 1954-1955 : ainsi, il n’est pas rare qu’en vue de paralyser le commerce d’un lieu précis, les commerçants et artisans décrètent la grève générale. C’est le cas à Carcassonne en novembre 1954 face à une menace de contrôle fiscal à l’encontre du président départemental de l’UDCA. À Rodez, les sympathisants poujadistes jouent des poings et des pieds contre les CRS. Même chose à Argentat et Marseille. Des révoltes éclatent à Riom, à Murat et Saint-Flour, et en certaines occasions les sympathisants poujadistes n’hésitent pas à marcher jusqu’au centre local des impôts dont ils enfoncent l’entrée (parfois avec des poteaux de circulation) afin de brûler les déclarations.
Poujade profite de cette évolution syndicale pour décréter un meeting à Paris, le 5 juillet 1954, au Vél d’Hiv’. Le but est simple : intimider les pouvoirs publics. Le meeting se préparera avec difficultés, et pas seulement à cause des inondations sur les chemins empruntés : le pouvoir politique cherche à minimiser l’ampleur de cette démonstration de force. La SNCF refuse d’affréter des trains supplémentaires. Mais le Jour J le meeting est plein à craquer : Pierre Poujade aurait aisément pu marcher sur l’Élysée et le Palais-Bourbon. Même chose à Grenoble et Béziers. Et Poujade, conscient que la simple opposition fiscale ne suffit plus fût-elle musclée, va chercher d’autres moyens pour faire pression sur les hommes politiques et les forcer à convoquer des États Généraux dont chaque profession remplira un cahier de doléances afin de faire reconnaître ses revendications et ses inquiétudes.

De la politisation au crépuscule de l’UDCA

Grève de l’impôt de 1955 et élections générales de 1956

L’UDCA initie une pratique de paiement rapide et général des impôts, consistant en des mouvements de foule qui, s’accordant un lieu de rassemblement, s’en vont à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour encombrer l’institution de lettres d’envoi. Mais les commerçants et artisans ne sont guère intéressés. C’est face à l’abandon de cette pratique d’obstruction des préfectures que l’UDCA lance, sous l’égide de son président national, le coup d’envoi des grèves de l’impôt, dont le principe est simple : affamer l’État vorace pour se faire écouter, couper l’herbe fiscal duquel tout repose et sur lequel l’appareil administratif fonctionne. En un mot : en finir ! Le paiement des prélèvements obligatoires repose sur le principe, simple et coutumier, du consentement à l’impôt, en d’autres termes chaque citoyen se doit d’apporter sa contribution financière à l’édifice, devoir inscrit dans l’article 20 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793. Mais le poujadisme entend bien, violant l’article 20, faire enfin exécuter les articles 34 et 35, qui disposent respectivement qu’ « il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé » et que « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». Et il est vrai que le refrain de l’oppression des « puissants » envers les « sans-grades » a toujours été une constante dans la dialectique poujadiste.

Au début de 1955, Pierre Poujade lance la « fermeture du robinet » : grève illimitée. Il s’agit de supprimer l’amendement Dorey qui impose de mettre fin aux pulsions rebelles provenant des couches sociales dont Poujade se veut être l’humble représentant. Mais la grève du fisc étant un acte aussi délictueux qu’y appeler, les consignes n’ont pas été données officiellement par aucun cadre de l’UDCA, ce cadre fut-il le chef : tout au plus au sein de villes isolées, paye-t-on le jeune crieur vendant le journal à la sauvette, pour qu’il se rende en pleine place du marché appeler les habitants à manifester leur dégoût du parlementarisme abject par le refus du paiement.
L’Express du 5 mars donne des chiffres alarmants, la confusion règne au sein des services bureaucratiques et, au cours d’un débat à la Chambre basse, le secrétaire d’État aux finances confirme que le fisc a bloqué les sommes dues sur les comptes bancaires dans divers départements, mais aucun chiffre n’est livré aux parlementaires ni à la presse. Une diminution légère des recettes fiscales est constatée, et validée, par des statistiques : un comble en cette période où les affaires et particulièrement celles d’Afrique du Nord, vont mal ! Début mars, le gouvernement nouvellement investi annonce demander l’acquisition des pouvoirs spéciaux pour réformer le système de prélèvements et de redistribution ainsi qu’alléger les contrôles et leurs conséquences éventuelles, parmi lesquelles les pénalités. Mais vers avril-mai 1955, Poujade décide de couper court au non-paiement, sans compter que la presse annonce mi-mars l’ouverture d’une enquête contre « X » pour appel à la grève.

Le gouvernement, lui, a trouvé moyen de se désolidariser des exigences poujadistes, de concert avec les députés : la suppression de l’amendement Dorey, sévère envers les commerçants, serait incompatible avec le maintien du système fiscal du moment. Donc, problème de forme ? Voilà une jolie occasion pour la majorité de prendre de court les poujadistes sans apparaître comme un lâcheur ! Poujade comprend que la charge a échoué. D’autres méthodes viendront et, les députés abandonnant le mouvement, son chef comprend que si le Parlement ne vient pas à lui, lui viendra au Parlement. La voie vers la politisation du mouvement est ouverte. Celui-ci va progressivement agglomérer autour de lui diverses tendances droitières, comme les anticommunistes en cette période de Guerre froide, les leaders de l’extrême-droite traditionnelle comme Jean-Louis Tixier-Vignancour (qui, faut-il le rappeler, assura la défense du général Salan à son procès, et qui se trouvait parmi les manifestants du 6 février 1934), et quelques anciens combattants revenus d’Indochine.

Tout au long de l’année les poujadistes et leur chef développent des thèmes chers à leur coeur syndical : maintien de l’Algérie dans le giron colonial, réforme du parlementarisme à outrance symbolisé dans ce que Pierre Poujade appelle « le cocotier à secouer » (à savoir l’Assemblée nationale), la Patrie que Jean-Marie Le Pen, nouveau venu à l’organisation, précise être « non seulement celle des chantiers mais aussi celle des cimetières », et bien-sûr une vaste réforme fiscale visant à établir l’égalité de tous devant l’impôt. L’UDCA prend ses marques et par ce fait, s’affirme comme une résurgence de la droite nationaliste disparue au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Les communistes raillent cette évolution idéologique en affublant le désormais célèbre chef syndical du sobriquet « Poujadolf » : la rupture avec le PCF est définitivement consommée. En décembre 1955 se produit un imprévu : pour la première et unique fois de la IVe république, le président du Conseil Edgar Faure dissout l’Assemblée. Malgré des oppositions provenant de la base syndicale du mouvement, le chef de ce dernier, Poujade, décide de se lancer à l’assaut des sièges devenus vacants et créé à la va-vite l’UFF (Union et Fraternité Françaises), bras électoral de son syndicat.

La rapidité de la campagne électorale permet au mouvement Poujade de déployer, de faire étalage, de sa puissance de mobilisation : les militants tractent sans cesse et Poujade réalise d’assez bonnes prestations à la radio-télévision. Des sympathisants sont mis à contribution, en leur demandant de coller de grandes affiches pro-poujadisme sur leur camion s’ils en ont un : ainsi les routes nationales se voient sillonnées par des camions de propagande. L’instrument est astucieux. Mais les RG (Renseignements Généraux) aidés par les préfets se montrent incompétents ou du moins aveugles face à la marée qui s’annonce : les prévisions sont dans la fourchette basse. Dans la Vienne, il est prévu 5000 voix pour l’UFF. Il y en aura 35.000. Dans le Lot, les RG en espèrent 2000 : le 2 janvier en verra apparaître 9000 dans les urnes départementales. En Charente-Maritime, on songe à 20.000 voix maximum, mais on en verra 45.000. Dans le Tarn, le préfet prévient les RG qu’à son avis, les poujadistes ne recueilleront que 10.000 voix. Ils en auront 33.000. Et le 2 janvier 1956, Poujade triomphe : 52 députés, ayant fait campagne sur le slogan « Sortez les sortants », s’en vont au Palais-Bourbon.

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De toute évidence, le vote pro-poujadisme ne s’est pas cantonné aux seuls adhérents du mouvement, loin de là. D’autres couches sociales ont aussi voté pour lui. Le succès est remarqué jusqu’aux États-Unis où le magazine Times consacre sa une au leader poujadiste. Mais Pierre Poujade, bien que satisfait, se rend compte que sans l’appui des autres partis de droite traditionnelle et les gaullistes du RPF, sa volonté de réforme restera vaine. L’establishment, quant à lui, est glacé d’effroi : que faire ? Le raz-de-marée n’avait pas été prévu. Qu’à cela ne tienne, le front républicain sera la solution. Jean-Marie Le Pen, lui, a été élu député du premier secteur de la Seine à l’âge de 27 ans, ce qui en fait le benjamin de l’Assemblée nationale.

« Front républicain » et retour du général de Gaulle : de 1956 à 1958

Une fois le choc estompé, les poujadistes dérangent, surtout par leurs excès. Le Pen, bagarreur verbal et physique, n’en est pas épargné et doit régulièrement être rappelé à l’ordre par le chef national de l’UDCA. Pierre Poujade a commis l’erreur de ne pas se présenter : sans pouvoir politique, le voilà dépassé par ses propres élus. Aucune des lois, ni des résolutions proposées par le groupe nationaliste ne parvient à franchir le cordon congénital du front républicain initié par les adversaires de Poujade dès l’investissement de l’hémicycle par les nouveaux élus de l’extrême-droite. La crise de régime n’aura pas lieu.
Les députés poujadistes, accusés de muer en politicards voyous et corrompus, soit démissionnent pour s’engager en Algérie avec le contingent (Jean-Marie Le Pen, Maurice Demarquet), soit deviennent indépendants, soit sont invalidés pour que leur pouvoir sur l’ordre du jour de la séance parlementaire soit considérablement diminué (une dizaine d’invalidations au début de l’année, officiellement pour cause de fraude due aux reports de voix électives inter-filiales de l’UDCA), soit restent sagement obéissant afin de ne pas risquer l’excommunication. La débandade est complète. Il n’empêche qu’en août 1957, Pierre Poujade rencontre pendant une heure Charles de Gaulle : que se sont-ils dits ? Nous n’en saurons rien, mais toujours est-il que le chef de l’UDCA militera dès lors pour une Ve république.

Le retour au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958 brise net le courant poujadiste et, non content de le renvoyer, la Ve république sortira d’ailleurs tous les anciens de la IVe. Certains poujadistes du courant « Algérie française » se rallient un certain temps à l’homme du « Je vous ai compris ! », croyant y discerner la promesse du maintien. Mais de Gaulle, trahissant son serment lancé aux pieds-noirs et ses assurances faites aux généraux, amorce la procédure de lâchage d’Alger. Lorsque Salan forme l’OAS (Organisation Armée Secrète), les poujadistes s’y engageront en masse, espérant que leur action permettra de conserver à la métropole le dernier vestige de ce qui fut un des rares empires mondiaux où « le soleil ne se couchait jamais ». En 1962, l’acte final de l’odyssée coloniale du XXe siècle, ainsi que celui du poujadisme, est définitivement ratifié par la signature du président-général.

Le poujadisme est mort en feu de paille. Mais loin de se cantonner à des impulsions syndico-électorales, le mouvement Poujade aura symbolisé le cas typique de la réaction psychologique conservatrice face aux forces du changement : les membres de l’UDCA jugeaient négativement l’évolution industrielle de la France d’après-guerre car, a contrario des décennies précédentes, les petits commerçants se faisaient en quelque sorte doubler par la concentration commerciale propre aux grandes surfaces, proposant les biens mobiliers et les produits de consommation à un prix moins coûteux.
L’UDCA croyait dur comme fer que l’indépendance du travail était celle du travailleur libéral, qui tenait une boutique ou un restaurant et qui, seul maître de ses horaires et du règlement intérieur, n’était pas aliéné par le patron propre au salariat. Bien sûr il était cependant aliéné par ses clients, lui, l’indépendant obligé de se lever tôt le matin pour faire le marché ou laver sa vitrine, afin de satisfaire le client aux horaires d’ouverture, puis de fermer temporairement boutique pour compter la caisse. Voilà le quotidien connu par les membres de l’UDCA et qui fatalement était en train de changer par le mouvement des Trente Glorieuses : le poujadisme fut un mouvement d’inquiétude face à la modernité.

Pierre Poujade, retournant à Saint-Céré, restera à l’UDCA devenue moribonde, deviendra agriculteur avant de trouver un réconfort dans les années 1970 au sein du CIDUNATI sans en être la vedette, celle-ci étant tenu par le dénommé Gérard Nicoud. Ce dernier et Poujade avec lui, seront candidats sur la même liste aux élections européennes de 1979, sans être élus. À cette organisation anti-fiscale arrive aussi la mort. De début 1980 à nos temps actuels, aucun mouvement d’ampleur significative et anti-impôt ne viendra troubler le jeu politique français.


Bibliographie :
BOUCLIER Thierry, Les années Poujade : une histoire du poujadisme (1953-1958), Perrin, 2006.
SOUILLAC Romain, Le mouvement Poujade : de la défense professionnelle au populisme nationaliste, Presses de Sciences-Po, 2007.

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