Quand on lu à Georges Clémenceau (1841-1929) le testament de son ex-collègue politique Georges Boulanger souhaitant graver sur sa tombe « Marguerite-Georges / Ai-je bien pu vivre deux mois sans toi ? », le futur vainqueur de la Grande Guerre suggéra plutôt : « Ci-gît le général Boulanger qui mourut comme il a vécu. En sous-lieutenant. » Stupéfiante déclaration de Clémenceau qui quelques temps auparavant, avait refusé de continuer à soutenir son ancien condisciple du lycée de Nantes alors chef de file du mouvement qui portait son nom. Le boulangisme fut un feu de paille électoral : ceci dit pourquoi et comment est-il apparu ? Quels étaient ses réseaux ainsi que son objectif ?
Contexte
La perte de l’Alsace-Lorraine
A partir de 1871, la France se voit dépossédée d’une partie de son territoire ; en effet, les monarchistes qui ont remporté les élections de 1871, menés par Adolphe Thiers, ayant négocié les conditions de paix avec une Allemagne réunie autour du pays vainqueur (la Prusse), ont dû abandonner l’Alsace-Lorraine. La déception et la colère sont grandes dans la population française, qui sera alors toute unie derrière une idée fixe, une obsession : reprendre l’Alsace-Lorraine au voisin germanique, par une guerre s’il le faut. C’est la naissance du « Revanchisme », qui entraînera toute la France derrière lui jusqu’à la fin de la Grande Guerre.
Quelques années plus tard, malgré de nombreux problèmes politiques, les républicains disposent des moyens d’agir pour enraciner leur régime et empêcher toute possibilité de Restauration. Jules Grévy devient Président de la République en 1879 Française et Waddington est nommé Président du Conseil. La IIIe République part sur de bonnes bases.
Scandales
En 1881, les républicains écrasent leurs adversaires conservateurs. Cela dit, les Français restent déçus : observant le manque de réformes sociales accomplies, constatant le mauvais fonctionnement du régime parlementaire et la non-préparation d’une guerre de revanche sur l’Allemagne impériale, révoltés devant les multiples scandales ornant le manteau de la toute jeune république (Scandale des Décorations en 1887), ils désirent pour une bonne part en finir avec le régime actuel.
L’esprit de revanche
Les années 1880, qui voient un formidable essor du colonialisme français et plus largement européen, constituent un point de discorde interne. Les républicains de gouvernement sont accusés d’être trop conciliants avec leur voisin allemand et de ne pas préparer une revanche militaire dans la finalité de récupérer l’Alsace-Lorraine. Les Français tiennent plus à reconquérir leurs provinces perdues et les rattacher à l’ancienne patrie qu’à se lancer dans de vastes expéditions coloniales. C’est dans ce contexte que va se dessiner petit à petit, un mouvement politique aux contours flous : le boulangisme.
Le boulangisme ministériel
L’arrivée d’un nouveau venu
A partir de 1885, la France ne possède pas de majorité stable. En 1886, Grévy demande à Charles de Freycinet de former un nouveau Gouvernement. Celui-ci compte un homme relativement inconnu du public : un nommé Boulanger (dont le nom complet est Georges Ernest Jean-Marie Boulanger). Ce jeune général aux origines modestes qui n’ose pas masquer ses opinions républicaines (ce qui est rare dans l’armée) a été recommandé à Freycinet par le journaliste et homme politique Clémenceau, séduit par les opinions farouchement républicaines du militaire. « Hybride de Murat et de Casanova. Le velours du regard et les dorures du Brandebourg ! » déclare-t-il à son sujet.
Des réformes populaires
Une fois titulaire du portefeuille de la Guerre, le « brav’ Général » voit sa popularité rapidement augmenter. Qui eût cru que « le Georges bien-aimé » selon l’expression de sa maîtresse Marguerite de Bonnemain, multiplierait les coups d’éclat ? Les déclarations se succèdent (selon lesquelles l’armée n’est pas au service de la bourgeoisie, ou que la France peut abandonner sa politique défensive pour se concentrer plutôt sur une politique offensive), auxquelles s’ajoutent de populaires réformes (permettre à des soldats de se laisser pousser la barbe, l’adoption et la mise en fabrication du fusil Lebel, la pacification de la crise des mines de Decazeville, la réintroduction de la revue militaire du 14 juillet).
La naissance du « Général Revanche »
En 1886, se regroupent autour du général Boulanger :
- des républicains révisionnistes, pour la plupart des radicaux.
- des monarchistes, des bonapartistes, désireux de renverser le régime républicain.
Lors du 14 juillet 1886, le Général Boulanger est au centre de la revue militaire. Sa prestance, son charisme y font grande impression. Et voici que peu après, Paulus lui dédie une chanson : En revenant de la revue.
Le 17 septembre de la même année, Boulanger déclare à une foule enthousiaste : « Nous pouvons enfin renoncer à la triste politique défensive ; la France doit désormais suivre hautement la politique offensive ».
Par ses discours belliqueux et va-t’en-guerre, le militaire de 49 ans séduit les nationalistes. Un meeting est organisé par Paul Déroulède et sa Ligue des Patriotes au Cirque d’Hiver, à Paris. Peu après, ce seront 10 000 personnes massés sur les boulevards, que les Parisiens pourront voir crier à tue-tête « C’est Boulange, Boulange, Boulange, c’est Boulanger qu’il nous faut ! »
Le 3 décembre 1886, un amendement d’un député sur la suppression des sous-préfets fait tomber le Gouvernement de Freycinet, mais Goblet est obligé de reprendre le « Général Revanche » dans une configuration plus à droite puisque les radicaux abandonnent le gouvernement auquel les conservateurs apportent leur soutien.
Boulanger multiplie les provocations envers l’Allemagne ; à en voir l’érection de baraquements militaires dans la région de Belfort (qui fait historiquement partie de la Haute-Alsace), l’interdiction d’exporter des chevaux ou encore l’interdiction de la représentation de l’opéra Lohengrin (sixième opéra de Wagner), les Français se préparent à la guerre. C’est ce que pensent les Allemands qui mobilisent 70 000 hommes de réserve.
Le 20 avril 1887 a lieu le plus grand danger de guerre depuis la fin du conflit franco-prussien. Car en effet, le commissaire français Guillaume Schnabelé est arrêté « en territoire français » selon le rapport allemand, par des policiers allemands déguisés en ouvriers agricoles. Selon l’Allemagne, Schnabelé s’est rendu coupable d’espionnage au profit de la France républicaine. Mais selon la France, le commissaire exerçait alors ses fonctions officielles et en conséquence, son arrestation était illégale. Schnabelé est menacé de paraître devant une cour martiale. Georges Boulanger propose l’envoi d’un ultimatum (ce qui ne fait qu’accroître de manière significative sa popularité). Le gouvernement refuse et traite l’affaire par la négociation. Seules des difficultés au sein des deux gouvernements permettent d’éviter un nouveau conflit. Désormais, Boulanger (qui sans en avertir la Présidence, a développé un réseau d’informateurs en Allemagne) apparaît dangereux pour le Gouvernement.
Caricature du Grelôt de mai 1888.
Naissance et développement du mouvement boulangiste
Éviction du Général Boulanger
Début 1887, Boulanger possède, non seulement le soutien des monarchistes et des bonapartistes, mais aussi de la gauche et de l’extrême-gauche : n’est-ce pas lui qui a rendu le service militaire obligatoire pour les ecclésiastiques (« les curés sac au dos »), qui a expulsé les princes d’Orléans de l’armée en 1886, qui a amélioré les conditions de vie du soldat, et qui de surcroît a même évoqué le 13 mars 1886 une possible fraternisation entre la troupe et les mineurs en grève de Decazeville (!) ?
Le 13 mai 1887, un nouveau gouvernement est formé par Rouvier – qui n’inclut pas Georges Boulanger. C’est désormais le général Théophile Adrien Ferron qui le remplace au Ministère de la Guerre. Cette éviction choque bon nombre de nationalistes. Le mouvement boulangiste est en marche et ne chutera que fin 1889.
L’ampleur du mouvement
Le mouvement politique représenté par le Général Revanche repose sur l’espoir d’une revanche sur l’Allemagne et celui d’une politique sociale porté par les radicaux boulangistes. Le leader de ce mouvement devient alors, en quelque sorte, le « syndic de tous les mécontents. »
Sans poser sa candidature mais à l’appel de Henri Rochefort (1831-1913), 100 000 bulletins portent le nom de Boulanger lors d’une élection partielle de la Seine. Naturellement, le gouvernement en est tout étonné. La présence du général et sa forte popularité ne cessant d’aller croissant, le gouvernement français l’éloigne autant qu’il peut de la capitale. C’est donc bientôt que l’on voit le général Boulanger devenir commandant du 13ème Corps d’Armée à Clermont-Ferrant. Son départ, le 8 juillet 1887, donne lieu à une manifestation de foule montrant l’ampleur du mouvement boulangiste : pendant près de 3 heures et demie, 10 000 personnes, ayant envahi la gare de Lyon, bloqueront le train et le couvriront d’affiches scandant : « Il reviendra ! »
Oui, il reviendra et plus fort que jamais, on le verra par la suite.
Le Scandale des Décorations a lieu la même année. Ce scandale politico-financier de trafic de décorations mêle plusieurs hommes politiques, Daniel Wilson notamment. Ce député d’Indre-et-Loire et gendre du Président de la République usait abondamment de son influence pour négocier des participations d’hommes d’affaires dans ses entreprises, en échange de l’obtention de décorations.
Boulanger est un temps mis en cause mais, à cause de l’acharnement de Jules Ferry, de Clémenceau et des journalistes sur le Président Grévy, ce dernier est contraint de démissionner le 2 décembre. Boulanger devient un acteur-clé des tractations ayant pour but d’élire le successeur de l’ex-Président. Les monarchistes offrent leurs voix à celui qui s’engage à reprendre leur poulain comme ministre de la Guerre. Sadi-Carnot est élu. Prenant Tirard comme Chef de Cabinet, il refuse Boulanger au Gouvernement.
Les différents soutiens à Boulanger
1887 se termine. Le 1er janvier 1888, le général (qui a désormais 50 ans) a une entrevue secrète, en Suisse, avec le prince Napoléon-Jérôme, cousin germain de Napoléon III, qui lui assure le soutien des bonapartistes ainsi qu’un appui financier.
Pour l’élection du 26 février 1888, la candidature du général est posée dans sept départements dans lesquels il obtient 54 671 voix. Cependant le général, étant en activité, est inéligible…
Le 15 mars, le général Logerot, ministre de la Guerre, le relève de ses fonctions et, le 24 mars, Boulanger est rayé des cadres de l’armée et cassé de son grade. Désormais, rien ne s’oppose à son entrée en politique, et Boulanger va bien se servir de son éligibilité.
En avril, il se présente aux élections en Dordogne et dans le Nord où il reçoit respectivement 59 000 et 172 500 voix. Une foule importante assiste à son entrée à la Chambre des Députés le 12 juillet suivant. Il propose un programme simple : la mise en place d’une Assemblée Constituante, c’est-à-dire une institution collégiale ayant pour tâche la rédaction ou l’adoption d’une Constitution. Les amis de Boulanger espère profiter de cette révision pour renverser le régime républicain.
Caricature du Grelôt de septembre 1888.
Apogée et déclin du mouvement boulangiste
De gigantesques moyens financiers au service d’une gloire sans limite
Le 13 janvier 1888, un fiacre stationne Boulevard d’Argenson, à Neuilly, devant l’hôtel du comte Dillon. A l’intérieur du véhicule se trouve la vicomtesse de Bonnemains, qui aime à la folie son cher général Boulanger qui le lui rend bien. Elle est pâle et, de ses mains blanches, serre un mouchoir de dentelle : derrière les murs en pierre du jardin de l’hôtel, Georges se bat en duel avec le président du Conseil, Floquet, que le général, à la tribune de la Chambre, a traité de « pion de collège mal élevé » ; Boulanger est expert en provocations.
Subitement, Mme la vicomtesse pousse un cri, car le Président du Conseil, tout sourire, félicité par ses amis, sort de l’hôtel. Le sexagénaire aurait enfoncé son épée dans la gorge de son adversaire ! Boulanger est en danger de mort. Marguerite se précipite, mais deux jours plus tard, tout danger est écarté. Son prestige sort indemne de l’affaire. La blessure cicatrisée, le général, chef de file du mouvement boulangiste, se présente à d’autres élections.
Outre les bonapartistes, Boulanger ne tarde pas à recevoir le soutien des monarchistes qui cherchent à se servir du célèbre militaire comme d’un bélier contre le régime républicain. La duchesse d’Uzès (héritière de la plus riche maison de vins de Champagne) finance Boulanger pour 25 000 francs, puis 3 millions au nom du prince Philippe d’Orléans. Albert de Mun, député royaliste, et Henri de Breteuil, huitième marquis de Breteuil et ami personnel du roi d’Angleterre Edouard VII, dînent avec lui en secret. Car le boulangisme marque probablement pour les monarchistes de l’époque le dernier espoir de Restauration de la monarchie en France. Entre temps, les boulangistes parviennent à présenter un candidat dans chaque département du pays. En août, Boulanger se présenta à nouveau à plusieurs élections et fut élu dans le Nord, la Somme et la Charente-Inférieure.
L’apogée du mouvement
La tension est à son comble lorsque Boulanger se présente à Paris en remplacement de Hude, député décédé, sur un programme i tient en trois mots : « Dissolution, Révision, Constituante ». La situation est inquiétante pour ses adversaires. Le président du Conseil général de la Seine, Édouard Jacques, s’oppose à lui aux élections. Le 27 janvier 1889, dès la nuit tombée, tout Paris est massé sur les boulevards pour attendre les résultats. Les rues sont noires de monde.
Boulanger, en habit, l’oeillet à la boutonnière, dîne chez Durand, café reconverti en QG de campagne. Le sort de la République est en jeu. Dans un salon voisin, la maîtresse de Boulanger, Marguerite, attend patiemment. De longues clameurs montent jusqu’à elle et Boulanger, enthousiaste comme jamais, repousse la table sur laquelle il dîne, se lève, et rejoint ses collègues. Un peu après 23 heures, les résultats sont proclamés : Georges obtient 244 000 voix contre 160 000 à son adversaire.
Boulanger célèbre la victoire Place de la Madeleine en présence de 50 000 personnes. Il n’a plus qu’à achever le régime.
Le refus du Coup d’État
Certains interpellent Boulanger, lui demandent vivement de prendre l’Élysée, l’implorent même. D’ailleurs, n’est-ce pas ce que cri la foule, au-dehors ? « A l’Elysée, à l’Elysée ! » entend-t-on à tous les coins de rue. Le pouvoir est un fruit mûr : il n’a plus qu’à tendre la main pour le cueillir.
Au moyen du système de candidature multiple, le « Général Revanche » s’était présenté et avait été élu à peu près partout. Alfred Naquet lui recommande alors d’effectuer un coup d’État en marchant sur l’Élysée. La police est soit impuissante, soit ralliée à sa cause, les Parisiens sont dans les rues, l’armée reste neutre, et Déroulède a mobilisé sa Ligue des Patriotes : tout est fin prêt, et dans ces conditions absolument parfaites pour un coup de force, le coup d’Etat ne peut aucunement rater !
« Pourquoi voulez-vous que j’aille conquérir illégalement le pouvoir quand je suis sûr d’y être porté dans six mois par l’unanimité de la France ? » déclare Boulanger, le regard voilé.
Un de ses compagnons soupire bruyamment : « Ce qu’il y a de plus faible dans le boulangisme, c’est Boulanger ».
Boulanger décide de demander à Marguerite, sa bien-aimée maîtresse, son avis. Il va la retrouver dans son cabinet particulier. Quelles paroles échangèrent-ils ? En tout cas, ce n’est pas cette femme qui conseillera à son amant de prendre le palais de l’Elysée par la force…
Boulanger la quitte, va retrouver ses amis.
« Non, déclare-t-il, je ne veux pas faire de Coup d’Etat. »
Les boulangistes sont désespérés lorsqu’ils entendent leur chef prononcer ces paroles. Thièbaud, un des principaux soutiens de Georges Boulanger, regarde la pendule accrochée au mur : « Minuit cinq. Depuis cinq minutes le boulangisme est en baisse.
– Pour réussir un coup d’État, il faut neuf chances sur dix, et encore on hésite… » réplique Boulanger.
La fin du Général
La IIIe République se défend
Le général Boulanger, repus de succès et de gloire, se hâte de rejoindre sa chère compagne qui l’a devancé « chez eux », rue Dumont-d’Urville. En voyant s’éloigner la voiture vers la Place de la Concorde, le futur Ministre de l’Intérieur, Ernest Constans, s’exclame au milieu des mines réjouies et des fous rires : « Quel… ! »
Sans doute sait-il que Boulanger a raté une occasion de prendre le pouvoir qu’il ne reverra plus jamais.
Constans s’ingénie alors à inquiéter Boulanger. Il fait habilement répandre le bruit que celui-ci va être arrêté. Mieux : son chef de Cabinet est parent d’une amie de Mme de Bonnemains. Il lui confie, sous le sceau du secret, que la cellule de Boulanger est déjà prête à Mazas. Le « Général Revanche », aussitôt prévenu, est épouvanté : il se moque du martyre qui lui conférerait une auréole de gloire. Il ne pense qu’à une chose, une seule : une incarcération l’écarterait bien loin de sa chère Marguerite. Le 1er avril 1889, il s’enfuit « courageusement » avec elle pour Bruxelles.
« Que faire avec un lâche ? s’écrie l’un de ses plus ardents partisans.
– Il se croyait Bolivar, il ne fut que Mac-Mahon », murmure Clémenceau, spécialiste des « bons mots ».
La Ligue des Patriotes, l’un des soutiens de Boulanger, est dissoute en vertu d’une loi sur les sociétés secrètes. Puis, Ernest Constans se débrouille pour faire savoir à Boulanger que le ministre de l’Intérieur, au mois d’avril, demandera à la Chambre la levée de son immunité parlementaire.
Le 4 avril, un vote de 333 voix contre 190 lève son immunité parlementaire. Boulanger est poursuivi pour « complot contre la sûreté intérieure » mais aussi pour détournement des deniers publics, corruption et prévarication.
La condamnation de Boulanger
Le 14 août 1889, le Sénat, réunit en Haute-Cour de Justice, condamne par contumace Boulanger (c’est-à-dire que l’accusé est absent), Rochefort et le comte Dillon à la « déportation dans une enceinte fortifiée ». La République vient de se ressaisir.
Désormais Boulanger, accompagné de sa maîtresse Mme de Bonnemains, vit en exil en Belgique où on le trouve encombrant. A la demande du Gouvernement belge, Boulanger s’exile en Angleterre où le climat britannique s’avèrera désastreux pour sa jeune maîtresse.
Pendant ce temps, le Gouvernement fait interdire le cumul des candidatures et, aux élections du 22 septembre 1889, les boulangistes ne remportent que 44 élus contre 166 monarchistes et 366 républicains. Le boulangisme s’effondre : il n’aura été qu’un petit feu, un feu de paille, qui se sera vite éteint.
Caricature du Grelôt d’août 1889.
Tandis que les partisans de Boulanger essayent tant bien que mal de sauver leur mouvement politique agonisant, Georges et Marguerite se sont retirés à Jersey dans une villa située au fond de l’anse sablonneuse de Sainte-Brelade. Ils font tous deux des promenades en voiture et, presque chaque jour, se rendent jusqu’à la falaise de Montorgueil où Boulanger, général déchu, regarde avec sa lorgnette une petite et vague ligne se profilant à l’horizon : les côtes de France. Mais on ne s’attarde guère.
La mort de Georges Boulanger
Mme de Bonnemains devient chaque jour plus malade : une mauvaise grippe. Les yeux se cernent, les mains deviennent moites, la toux est rauque. Une toux que le général guette avec une profonde angoisse.
Leurs promenades deviennent plus courtes. Emmitouflée dans des fourrures, Marguerite ne quitte plus la villa mais se traîne plutôt de banc en banc dans le jardin. Ses forces l’abandonnent. Boulanger et Marguerite retournent en Belgique, l’un d’abord et l’autre ensuite. Au final, c’est un être livide et proche de la mort que Boulanger accueille à la gare du Midi. Au mois de mai, le couple s’installe définitivement dans un petit hôtel, loué par le général, rue Montoyer, à Ixelles. Marguerite de Bonnemains est au dernier degré de la phtisie.
Le 15 juillet, Boulanger apprend ceci de la bouche du médecin : « c’est fini… Préparez-vous ». Jusqu’au lendemain soir, jusqu’au dernier soupir de Marguerite, Georges ne quittera pas la main de son amante, la couvrant de larmes et de baisers. Boulanger est devenu une ombre.
Le 29 septembre, deux mois après la mort de sa bien-aimée, Georges écrit son testament : « Je me tuerai demain, ne pouvant plus supporter l’existence sans celle, qui a été la seule joie, le seul bonheur de toute ma vie. Pendant deux mois et demi, j’ai lutté. Aujourd’hui, je suis à bout. Je n’ai pas grand espoir de la revoir mais, qui sait ! Et, du moins, je me replonge dans le néant où l’on ne souffre plus… » A propos de néant, Georges Clémenceau dira de lui : « En entrant dans le néant, il a dû se sentir chez lui ? »
Le lendemain, 30 septembre, Boulanger, un bouquet de roses à la main, se fait conduire au cimetière d’Ixelles et dépose les fleurs sur la tombe de sa chère Marguerite.
L’un de ses amis (un nommé Dutens) apparaît, craignant le drame : « Nous allons rentrer dans mon coupé. Allez renvoyer votre fiacre », lui dit le général en souriant. A peine Dutens s’est-il éloigné que Boulanger s’assoit, le dos appuyé à la tombe, sort d’une de ses poches son revolver d’ordonnance, le porte à son crâne, appuie sur la détente, et qu’une balle vient se loger dans sa tête.
Boulanger s’écroule par terre tandis qu’une mare de sang nourrie la terre. Le chef de file des ennemis de la République vient de disparaître.