Les montagnes n’occupent qu’une petite partie de la surface des continents, par rapport aux plaines et plateaux. Elles désignent en géophysique une formation actuelle de grandes masses rocheuses élevées dues à la tectonique des plaques (zone de rencontre entre deux plaques). Mais les montagnes ne sont pas que des objets géophysiques ; elles jouent aussi un rôle géopolitique : lieux privilégiés de rencontre avec Dieu dans l’imaginaire des hommes, lieux de refuges, de sanctuaires, forteresses ou frontières, elles offrent aussi des ressources particulières et inégales et enfin présentent des points stratégiques, couloirs de passage et sites défensifs avantageux.
La place de la montagne dans l’Histoire
La montagne et le divin
Sermon de la Montagne.
La montagne occupe une grande place dans les principales religions, étant un lieu privilégié pour les manifestations de Dieu. La montagne est un point de contact entre la Terre et le Ciel, l’homme et Dieu s’y rencontrent. Et quand l’homme, dans la Bible, voulut défier la toute-puissance divine, il défia la montagne en élevant la tour de Babel.
La place de la montagne est grande dans les trois monothéismes. Dans le Judaïsme, Moïse reçut les Tables de la Loi sur le Mont Sinaï ; dans le Christianisme, des épisodes de la vie du Christ ont pour cadre la montagne, comme les Béatitudes (passage connu sous le nom de Sermon de la Montagne) ou la crucifixion sur le Golgotha ; dans l’Islam, c’est dans une grotte située sur une montagne près de La Mecque que Muhammad reçut ses premières révélations. Il faut remarquer également que, pour les Chrétiens, nombre d’apparitions mariales eurent lieu dans des montagnes : ainsi, dans les chroniques chrétiennes, l’intervention de la Vierge en 722 dans les grottes de Covadonga (chaîne cantabrique, Espagne) fut décisive pour la victoire de Pélage, roi des Asturies, sur les musulmans (début symbolique de la Reconquista) ; plus près de nous, c’est dans un cadre montagnard que la Vierge Marie se serait manifestée au Laus (Hautes-Alpes, 1664), à la Salette (Isère, 1846) et à Lourdes (Hautes-Pyrénées, 1858), trois apparitions en France reconnues par l’Eglise.
La montagne refuge
Au long de l’Histoire, les montagnes furent des refuges pour les mouvements rebelles ainsi que pour les hérésies. Ceci est particulièrement vrai pour le monde musulman médiéval. Les sectes cherchaient à déstabiliser le pouvoir central pour le renverser ou faire sécession, ce qui explique qu’elles se soient réfugiées en montagne (les druzes de la région du Chouf, les shi’îtes duodécimains dans la région du Kesrouan au Liban, les shi’îtes zaydites du Yemen, etc.). Les minorités chrétiennes non-orthodoxes ont également trouvé refuge dans les montagnes, formant des sociétés autonomes (les chrétiens maronites du Mont-Liban par exemple). Ce phénomène n’est pas propre à l’Orient : les Vaudois (hérésie chrétienne), persécutés, trouvèrent refuge à la fin du Moyen Âge dans les vallées alpines et y survécurent tant bien que mal.
Parce que leur contrôle est difficile, le montagnes furent également un lieu de contestation du pouvoir central, un refuge et un abri pour les rebelles. Au début des années 1920, Abd-el Krim prenant la tête de tribus rebelles, combattit les Français et les Espagnols dans le Rif, chaîne de montagnes au Nord du Maroc. Durant la Seconde Guerre mondiale, les régions montagneuses d’Europe permirent la constitution de maquis résistants militarisés. En Afghanistan, c’est à partir des montagnes que les Mudjahidins menèrent une guérilla aux Soviétiques contrôlant la plaine de Kaboul. Aujourd’hui encore, les montagnes constituent des refuges pour des mouvements terroristes (exemple des montagnes de Kabylie, au Nord de l’Algérie, abritant des groupuscules terroristes pratiquant des enlèvements).
La montagne frontière
Les montagnes ont fait partie de ce qui a été nommé les « frontières naturelles » (Georges Danton), avec les fleuves et les mers. Cette notion de frontière naturelle repose sur l’idée de protections naturelles, de barrières ; et les Etats ont toujours cherché les limites territoriales les plus sûres pour assurer leur défense. De ce fait, de nombreuses chaînes de montagnes délimitent des Etats. En Europe, les Pyrénées (depuis 1659) et les Alpes occidentales (depuis 1860 avec la cession de la Savoie) marquent les frontières de la France, respectivement avec l’Espagne et l’Italie ; et l’axe montagneux scandinave sépare la Suède et la Norvège depuis 1905. En Asie, la frontière de la Russie, avec la Géorgie et l’Azerbaïdjan, passe par le Caucase. En Amérique du Sud, la ligne de crête des Andes sert de frontière entre le Chili et l’Argentine. Mais si sur une carte du monde les frontières suivent les montagnes, à une échelle beaucoup plus locales, le tracé de la frontière est loin d’être simple, chaque Etat voulant contrôler les positions stratégiques les plus intéressantes. Et la frontière doit-elle suivre la ligne de crête ou la ligne joignant les points les plus bas d’une vallée (système du talweg) ?
Il existe cependant des montagnes sans frontière ; ces montagnes marquent souvent des espaces où les enjeux territoriaux sont faibles. En Amérique du Nord, la frontière entre le Canada et les Etats-Unis coupe perpendiculairement les Rocheuses et fut tracée au cordeau à une époque (XIXe siècle) où l’Amérique du Nord était très peu peuplée et peu mise en valeur. De même, en Afrique, les frontières héritées du partage colonial ignorent les reliefs. Dans les grands espaces continentaux, les massifs montagneux non associés à une ou plusieurs frontières marquent des espaces généralement marginaux, peu aménagés, avec des densités de population très faibles, comme pour les chaines de Sibérie orientale.
Des ressources particulières
Les difficultés de l’agriculture de montagne
Le relief des montagnes rend l’agriculture difficile. Les pentes des versants sont sujettes au processus de ravinement ou de glissement, et les vallées sont sujettes aux inondations. Du fait des reliefs, des aménagements complexes sont nécessaires pour se livrer aux cultures : terrasses, systèmes de régulation hydrologique. Le climat est également en cause : la rudesse du climat entraîne une diminution de la durée de la période annuelle de végétation active (durée de production). Le climat montagnard accentue aussi le déséquilibre entre activités agricoles d’été et d’hiver, ce qui constitue un obstacle supplémentaire à l’organisation rationnelle de l’exploitation agricole. Enfin, le fréquent éloignement des marchés et les pentes posent le problème des débouchés. Seule la sylviculture offre une activité économiquement intéressante, la pente n’étant pas un obstacle important pour l’exploitation forestière. Pour toutes ces raisons, les pays riches tendent à délaisser ces espaces au niveau agricole tandis que dans les pays pauvres, les versants de montagnes sont défrichés sous l’effet de la pression démographique.
Les richesses minières
Les richesses minières ne sont pas négligeables en montagnes : or, fer, cuivre, … La formation géologique des montagnes favorise la formation de richesses minérales ; d’autre part, l’érosion peut mettre à jour des dépôts qui étaient enfouis à des niveaux plus ou moins profonds de la croûte terrestre. En Europe, les montagnes de la péninsule ibérique firent l’objet d’une exploitation minière depuis l’antiquité, par les Romains. La chaîne cantabrique recelait de riches dépôts aurifères et, aux XIXe et XXe siècles, ce fut au tour du charbon d’être exploité. La Sierra Morena abrita des non-ferreux exploités par les Romains et l’émirat de Cordoue (cuivre, plomb, mercure). En Grèce, le massif minier du Laurion, dans l’Attique, abritait des dépôts d’argent exploités par Athènes. Le massif des Vosges, les monts métallifères de Bohême et les extrémités des Carpates furent exploités pour leurs filons non-ferreux depuis le Moyen Âge. En Amérique du Nord, les Appalaches et les Rocheuses sont riches en charbon. En Asie, le Tibet, dans l’Himalaya, abrite de nombreuses ressources minières, notamment en or, argent, plomb, fer, cuivre, charbon, étain, zinc, cobalt (etc.).
L’eau, ressource caractéristique des montagnes
La ressource en eau est caractéristique des montagnes, du fait des précipitations plus abondantes sur les massifs que sur les plats pays. Dans les régions arides, les montagnes recueillent les eaux qui s’écoulent vers les plaines par les oued (cours d’eau très irréguliers des régions semi-désertiques) ou les nappes souterraines. Au Moyen Orient, les montagnes de l’Anatolie sont bien arrosées et les rivières qui prennent leur source dans ces montagnes permettent depuis des millénaires l’agriculture et l’irrigation des plaines semi-désertiques du Moyen-Orient (fleuves du Tigre et de l’Euphrate de Mésopotamie). C’est pourquoi la construction de barrages en amont du Tigre et de l’Euphrate a un impact sur les relations entre la Turquie, la Syrie et l’Irak.
Cette eau est aussi source d’énergie par le biais des barrages hydroélectriques, permis par les dénivelés importants. De ce fait, en France, la puissance hydroélectrique est essentiellement concentrée dans les Pyrénées et les Alpes. De petites industries peuvent également tirer profit de l’énergie hydraulique, comme les petits centres d’électrométallurgie au fond des fjords de Norvège et dans les vallées de Colombie britannique.
Enfin, l’« or blanc » (la neige) des montagnes est une source de richesse du fait des retombées économiques du tourisme de montagne et des sports d’hiver. En France, la station de Mégève, dans les Hautes-Alpes, fut la première station de ski, créée dans les années 1910 sous l’impulsion des Rothschild. Les Jeux olympiques d’hiver naquirent en 1924 à Chamonix. Les stations se multiplièrent à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Mais ce type d’exploitation suscite des conflits entre les populations locales des communes de montagnes et les investisseurs externes proposant les aménagements.
Des points stratégiques dans les montagnes
Les passages
Les montagnes, bien que pouvant servir de refuges, de frontières ou de forteresses, ne constituent pas des barrières infranchissables. Les Alpes, les Pyrénées, l’Aurès sont franchis dès l’antiquité. Chaque chaîne de montagnes a ses points de passage stratégiques. Dans les Alpes, le col du Brenner, entre Innsbruck et Milan, a joué un rôle majeur, car suffisamment bas pour être franchi toute l’année ; il fut emprunté par les Gaulois de Brennus, puis les Lombards et les armées autrichiennes. Dans le Caucase, la route du col de Kazbek, cependant difficile (3500 mètres d’altitude), constitue la seule liaison entre les plaines de Russie méridionale et la Géorgie, d’où l’importance que la Russie accorda aux villes en contrôlant l’accès, Vladikvkaz et Grozny.
A partir du milieu du XIXe siècle, l’évolution de la technique et les aménagements réalisés en Europe ont modifié les traversées de chaînes de montagnes. Par exemple, la construction de tunnels ferroviaires puis de tunnels et viaducs routiers dans les Alpes ont ouvert de nouvelles voies de passage. La construction de ces axes routiers et ferroviaires a été guidée par le relief et par des impératifs économiques (relier des métropoles notamment).
Les sites défensifs
La place de Briançon.
Certains sites de montagnes offrent des possibilités de défense militaire fortes, et furent très tôt fortifiés. L’importance stratégique du glacis doit être soulignée, le glacis désignant, dans la science des fortifications, un champ de tir dégagé n’offrant aucun couvert à l’ennemi. Il permet de détecter l’approche de l’ennemi et de ralentir son avancée. L’architecture militaire a aussi exploité les cluses, vallées creusées perpendiculairement à l’axe de la montagne permettant les passages de troupes. Ainsi, des forts comme la place de Briançon (Alpes), aménagée par Vauban, ou les forts sardes de l’Esseillon en Maurienne, permettent de fermer le territoire en cas de conflit, faisant fonction de verrous. Le déplacement de la ligne de frontière peut rendre obsolètes ces places fortes (exemple de Montmélian et Barraux à l’ancienne limite du Dauphiné et de la Savoie, inutiles après 1860 du fait de la réunion de la Savoie à la France).
En ce qui concerne les armées, les sites montagneux ne permettent pas le déploiement d’importantes armées dans le cadre de batailles rangées : en 480 av. J.-C., les quelques centaines de Grecs (dont 300 Spartiates) profitèrent du défilé des Thermopyles, atténuant largement leur infériorité numérique face à l’imposante armée du roi achéménide Xerxès Ier, pour ralentir les Perses. Au XXe siècle, la guerre de tranchées dans les Dolomites (Italie, 1915-1918) ne permit aucune percée décisive.
Bibliographie :
BORDESSOULE Eric (dir.), Questions de géographie. Les montagnes, Paris, édition du Temps, 2002.
CHAUPRADE Aymeric, Géopolitique. Constantes et changements dans l’Histoire, Paris, Ellipses, 2009 (3e édition).