Deux notions régissent les problèmes géopolitiques depuis des millénaires : la guerre et la paix. Au sein du règne animal, chaque être lutte pour sa survie. Il en va de même pour le monde des Etats, le but étant de s’approprier de nouveaux territoires et de s’emparer de ses ressources. Contrairement à une idée reçue, la guerre n’est pas un déchaînement incontrôlé de violences : une guerre organisée suppose la civilisation. Il s’agit d’un pari rationnel ayant comme enjeu des territoires et des ressources (les premières vraies guerres datent du Néolithique avec la sédentarisation des populations et donc l’apparition des territoires). La guerre nécessite une certaine organisation, les vainqueurs étant généralement ceux qui ont réussi à mobiliser les ressources le plus efficacement. La possession d’armes plus sophistiquées que celles de l’ennemi donne aussi un avantage considérable, ce qui entraîne une course à l’innovation (ainsi, les États occidentaux mobilisent scientifiques et ingénieurs lors des deux conflits mondiaux).
Les mutations de la guerre : des conflits interétatiques aux guerres irrégulières
Guerres de conquête, guerres d’autodétermination
La guerre régulière et interétatique oppose au moins deux États mobilisant des forces armées régulières (vêtues d’uniformes et utilisant des armes conventionnelles), débute par une déclaration de guerre et s’achève par la signature d’un traité de paix. L’objectif poursuivi est d’imposer sa volonté à l’adversaire pour, par exemple, acquérir un nouveau territoire et/ou renverser un régime politique.
Jusqu’au XVIIIe siècle, les conflits sont en général limités par les objectifs stratégiques et les contraintes matérielles (logistique, mobilisation des ressources). Les effectifs et les théâtres d’opération sont alors relativement modestes en comparaison des guerres modernes, et les territoires conquis servent de monnaie d’échange lors des négociations diplomatiques parfois engagées avant la fin des combats. Les guerres révolutionnaires et napoléoniennes qui embrasent l’Europe de 1792 à 1815 constituent une rupture : longues et coûteuses, elles mobilisent des effectifs considérables et ont pour objectif de détruire l’adversaire ou renverser son régime politique. Différents facteurs expliquent cette mutation : les armées deviennent populaires et nationales (levées en masse, invention de la conscription) et elles défendent ou diffusent des idées (révolutionnaires ou contre-révolutionnaires). La période de conflits s’étalant de 1792 à 1815 annonce les guerres totales du XXe siècle.
A partir du XIXe siècle se développent aussi progressivement des guerres d’autodétermination, reposant sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Certains peuples, ne voulant plus vivre ensemble, souhaitent instaurer des États qui leur sont propres. Ce type de conflits pose de multiples difficultés : revendications territoriales qui se chevauchent (quand les populations sont enchevêtrées), purifications ethniques, guerre civile,… Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes peut aussi devenir un moyen de légitimer un conflit pour un belligérant, dans le cadre de la propagande de guerre.
Les guerres « irrégulières »
Après la Seconde Guerre mondiale, les guerres conventionnelles opposant au moins deux États deviennent de plus en plus rares grâce à l’ONU, l’arme atomique (jouant un rôle de dissuasion) et à la médiation de grandes puissances pour résoudre les tensions, tandis que guérillas et attentats se multiplient. Les organisations terroristes ne sont pas nouvelles, mais leur développement dans la seconde moitié du XXe siècle l’est en revanche, et peut s’expliquer par l’importance prise par les idéologies (islamisme, nationalisme) et l’émergence d’acteurs transnationaux, non étatiques, tels que les organisations terroristes (al-Qaida, Daech) ou les cartels de la drogue (comme au Mexique). Ces organisations terroristes et guérillas ne distinguent pas les populations civiles et militaires, tant sur le plan du recrutement que des cibles choisies. La lutte des États contre ces organisations relève en partie de la guerre classique avec l’intervention d’armées régulières et l’utilisation d’armes conventionnelles autour d’objectifs militaires précis. Cependant, contrairement aux guerres conventionnelles, la victoire militaire n’aboutit pas toujours à un succès politique : la victoire des militaires français sur le terrain contre le FLN dans la guerre d’Algérie (1954-1962) ne permet alors pas à la France de conserver cette colonie ; plus récemment, les opérations menées contre al-Qaida et Daech n’empêchent pas ces organisations de continuer à déstabiliser le Moyen-Orient et terroriser le monde entier.
De la paix-trêve à la paix-construction
La paix-trêve
Pendant longtemps, et encore aujourd’hui dans certaines parties du monde, la paix n’est qu’une trêve durant laquelle les belligérants reconstituent leurs forces (quand ils le peuvent). Le vaincu, sauf s’il est détruit (ce qui est rare), prépare sa revanche. Il se reconstruit et attend le moment où son vainqueur présente une faiblesse pour lancer l’assaut. Ainsi, en juin 1940, les Allemands, en envahissant la France, effacent l’humiliation de 1918-19).
La paix-construction
Jusqu’au début du XXe siècle, le pillage des territoires du vaincu a été l’un des grands motifs de la guerre. A la sortie de la Première Guerre mondiale, la France considère ainsi que l’Allemagne doit « payer ». Cette logique du pillage créé haine et rancoeur chez les vaincus et aboutit souvent à un désir de revanche. En réalité, l’intérêt du vainqueur est davantage dans la reconstruction économique du vaincu que dans son appauvrissement. La Seconde Guerre mondiale terminée, Washington comprend que laisser les vaincus dans la misère n’est pas une solution, mais qu’il faut en faire au contraire des pays prospères. Le XXe siècle voit ainsi l’apparition d’un nouveau type de paix : la paix-construction. Il s’agit de briser le cycle des guerres à répétition et de s’installer dans une relation permanente de paix. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la quête de la paix perpétuelle :
- Les horreurs des deux guerres mondiales.
- L’équilibre de la terreur dû à l’arme nucléaire.
- L’amélioration des conditions de vie par le développement économique.
- La démocratisation du système international.
La paix-construction passe par l’aide à la reconstruction des pays vaincus par le vainqueur, l’acceptation par chaque État de ses frontières et l’oubli des vieilles rancoeurs.
Les conditions pour la paix
La paix hégémonique de l’empire
L’empire est une des constructions géopolitiques les plus constantes de l’Histoire. Certains se maintiennent des siècles (Empire romain, Empire ottoman,…) d’autres sont de véritables étoiles-filantes (Empire napoléonien, IIIe Reich,…). Cependant, au-delà de leur diversité, les empires sont dotés d’une capacité à instaurer une paix spéciale, appelée « paix hégémonique ». Cette paix repose sur deux conditions :
- La crédibilité : l’empire doit apparaître comme puissant aux yeux des populations dominées.
- L’apport d’avantages aux peuples dominés : construction d’infrastructures (routes et aqueducs pour l’Empire romain), apport de la prospérité et de la culture (mission civilisatrice de l’homme blanc lors de la colonisation).
Un empire qui n’est plus crédible se décompose rapidement (le mouvement de décolonisation qui s’amorce après les défaites humiliantes des puissances coloniales européennes), un empire ne reposant que sur la force se heurte très vite aux résistances (IIIe Reich, Union soviétique).
La paix des équilibres
Lorsque deux États semblent être à peu près de puissance égale, aucune d’entre eux n’ose déclencher la guerre par crainte d’être vaincu. Ceci contribue à expliquer qu’aucun conflit majeur n’ait embrasé l’Europe entre 1815 et 1914. Dans ce cadre, la mise au point de la bombe atomique (1945) et surtout de la bombe thermo-nucléaire (1952) ont paradoxalement permis de faire reculer la guerre, en instaurant un nouveau type d’équilibre, aucun bénéfice ne pouvant être tiré d’un conflit pouvant aboutir à une annihilation réciproque.
Le système d’équilibre nécessite un ou plusieurs « gardiens ». Ce ou ces gardiens se donnent pour mission de rétablir l’équilibre lorsque celui-ci est perturbé. De la fin du XVIe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne, luttant contre toute tentative hégémonique (que ce soit celle de Louis XIV, Napoléon Ier, Guillaume II,…) en Europe, occupa le rôle de gardien de l’équilibre européen. Il arrive que le gardien soit aussi un protagoniste comme dans le cas de l’affrontement des États-Unis et de l’URSS dans la Guerre froide.
Enfin, la dernière condition requise pour avoir un système d’équilibre est un environnement idéologique apaisé. Quand les passions sont exacerbées (Guerres de religion du XVIe siècle, guerres de la Révolution française et de l’Empire,…), les guerres à la fois civiles et interétatiques empêchent le maintien de la paix.
La paix institutionnelle
La paix impériale exige à la fois un empire puissant maître de son territoire et un apport d’avantages à ceux qu’il domine. La paix des équilibres est une paix fragile. Pour échapper à cette alternative, la paix institutionnelle (ou « paix démocratique ») essaye d’établir une sécurité collective basée sur des règles supra-étatiques. La SDN (qui se révéla inefficace) puis l’ONU ont été fondées dans le but d’instaurer cette paix institutionnelle.
La sécurité collective requiert un pacte social entre États (comme la Charte des Nations unies), chaque État devant adhérer à des principes communs (respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États, règlement pacifique des différends,…). Le pacte pose les États adhérents en États égaux en droit. La guerre est une violation du pacte, un acte de délinquance. En cas de violation du pacte, une instance supra-étatique doit intervenir par la force armée pour sanctionner « l’Etat-voyou ».
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre monde n’a pas connu de conflit majeur. Situation inédite, notre époque semble combiner les trois types de paix :
- Paix institutionnelle, depuis la création de l’ONU.
- Paix impériale, assurée, depuis la chute de l’URSS, par les États-Unis, superpuissance capable d’intervenir partout dans le monde très rapidement: première guerre du Golfe (1990), conflit du Kosovo (1999), invasion de l’Irak suspectée de détenir des armes de destruction massive (2003),…
- Paix par l’équilibre, du fait de l’équilibre de la terreur (l’arme nucléaire) et l’émergence de nouvelles puissance concurrençant les États-Unis (en particulier la Chine).