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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Dans l’Europe de l’Ouest, la croissance numérique de la classe ouvrière, débutée dans les années 1830, se poursuit jusqu’à la décrue des années 1970 avec une rupture pour les années 1930 (crise économique). Ainsi, la France compte 6,5 millions d’ouvriers en 1914 ; 7,2 en 1932 et 8,3 en 1973. Cette classe ouvrière se renforce grâce à la fécondité ouvrière (difficulté de sortir de la classe ouvrière), à l’exode rural et à l’immigration. Le travail ouvrier évolue avec la systématisation de l’organisation scientifique du travail qui se traduit par une intensification de l’effort. Les conditions de vie et de travail tendent partout à s’améliorer grâce aux luttes menées par les syndicats ; le droit du travail évolue dans un sens favorable aux ouvriers. Les syndicats finissent par s’intégrer dans la société après la Seconde Guerre mondiale et à être reconnus comme des acteurs indispensables de la vie sociale.

L’évolution du travail ouvrier

La rationalisation du travail

De 1880 à 1929 se met en place et se diffuse la rationalisation du travail à travers notamment le taylorisme. L’organisation scientifique du travail répond au besoin d’augmenter la productivité en décomposant chaque geste de l’ouvrier pour éviter les temps morts. Bien que cette évolution aboutisse à une intensification du travail, ces nouveaux modes d’organisation sont perçus d’une manière neutre par les ouvriers et les syndicats n’y prêtent guère attention. La Grande Guerre a été un formidable accélérateur de la mise en place de la taylorisation du fait de la nécessité de produire massivement du matériel de guerre (comme les obus). Pendant plusieurs décennies néanmoins, le taylorisme cohabite à l’intérieur même des usines avec les méthodes d’antan : seules certaines parties du travail ouvrier sont rationalisées. Ces nouvelles méthodes de production ont pour conséquence la disparition des savoirs (augmentation du nombre d’ouvriers non qualifiés : chez Renault 60 % en 1930, 78 % en 1970) et une modification de la relation salariale (le surveillant devient « omniscient »). L’encadrement se développe dans les entreprises : ingénieurs, techniciens, cols blancs sont de plus en plus nombreux.

L’autorité dans l’entreprise

Jusque dans les années 1920, le patron dans l’entreprise est le « chef roi ». Généralement, il décide de tout et quand un désaccord éclate entre le patron et les ouvriers, la grève s’installe sans vraiment de négociations préalables. Les mouvements sociaux de l’après-guerre font évoluer la situation. Au Royaume-Uni dès 1928-1929 les syndicats affiliés au Trade Union Congress peuvent signer des conventions collectives. En Allemagne en 1918, la création de l’Arbeitgemeinschaft (communauté de travail) permet des avancées dans le droit du travail. En France, la grève générale de mai-juin 1936 et les accords Matignon généralisent les conventions collectives et instituent les délégués du personnel (interlocuteurs entre les ouvriers et la direction). Les conventions collectives, négociés entre le patronat et les salariés, permettent de reconnaître des droits collectifs aux salariés : le patron n’est plus le seul maître à bord. Après la Seconde Guerre mondiale, la représentation des salariés est accrue : en France, en mai 1946 sont créés les comités d’entreprise, lieu de décision pour l’accompagnement du social (enfants, transports des ouvriers, etc.). En Allemagne, en 1951, la loi sur la cogestion associe les syndicats à la gestion des grandes entreprises sidérurgiques et minières de plus de 1000 salariés.

Les conditions de travail et de vie des ouvriers

Le salaire et le temps de travail

Le salaire ouvrier peut être au temps (heure, journée ou mois), à la tâche (dans les mines par exemple, le collectif ouvrier et le contremaitre ou l’ingénieur s’entendent chaque jour sur la tâche) ou à la pièce (rémunération en fonction de la quantité produite). Le salaire journalier est le plus courant au XXe siècle, la mensualisation étant récente (courant années 1960, début des années 1970). Sur l’ensemble de la période, à l’exception de la Seconde Guerre mondiale, le pouvoir d’achat des ouvriers a tendance à progresser ce qui se traduit par une diminution de la part du budget consacrée à l’alimentation. Autre élément d’augmentation : la croissance du sur-salaire non numéraire initié par la politique paternaliste d’une partie du patronat. Les avantages en nature (logement bon marché, chauffage gratuit ou à prix réduit, cantines d’entreprise et aides de toutes sortes) permettent une augmentation du niveau de vie ouvrier.

Le XXe voit aussi une diminution du temps de travail tant au niveau journalier, qu’hebdomadaire, mensuel, annuel ou du cycle de vie. En France, en 1919 est votée la loi de 8 heures, en 1936 la loi de 40 heures dans la semaine (annulée en 1938) ainsi que 15 jours de congés payés par an. Renault met en place la 3e semaine de congés payés en 1955, généralisée en 1956 (par les conventions collectives), et la 4e semaine en 1963 (généralisée sur dix ans). Le départ à la retraite baisse selon les secteurs. Cette diminution du temps de travail s’accompagne d’une intensification du travail et d’une fatigue plus importante.

Le logement ouvrier

Jusqu’aux années 1950, les ouvriers sont confrontés au problème du logement. Avec l’urbanisation, le prix du foncier urbain tend à augmenter. Le coût du logement finit par devenir trop élevé obligeant la classe ouvrière à fuir sur la périphérie et les banlieues, d’autant que certaines industries suivent le même mouvement. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le logement ouvrier est caractérisé par son manque de confort voire son insalubrité (espace exigü, pas de salle de bain, pas de toilettes, généralement pas d’eau courante). L’Etat commence à se préoccuper de la question du logement après la guerre de 1914-1918 : entre 1924 et 1932, 250 000 logements sont construits chaque année en Allemagne ; au Royaume-Uni, ce sont 300 000 logements qui sont édifiés chaque année entre 1914 et 1940.
A côté de ces deux pays, les efforts entrepris par la France paraissent négligeables (en 1928, la construction de 260 000 logements est prévue sur cinq ans) et le pays se voit au lendemain de la guerre confronté à son retard de l’entre-deux-guerres. L’Etat français choisit de construire de grands ensembles à lé périphérie des villes, certes beaucoup plus confortables (salles de bain, WC, chauffage) mais construits avec des matériaux bon marchés, rapidement, sans trop se soucier de la question du vieillissement de l’habitat.

Le mouvement syndical

Le syndicalisme de l’entre-deux-guerres

L’entre-deux-guerres est marqué au niveau syndical par les répercussions des luttes politiques entre socialistes et communistes. En France, un an après la scission entre la SFIO et les communistes (SFIC) au congrès de Tours en décembre 1920, la CGT se scinde entre réformistes (qui restent à la CGT) et révolutionnaires proches de Moscou : la CGTU (Confédération générale du travail unitaire) apparaît et persistera jusqu’en 1936. En Allemagne, les communistes, qui ont rompu avec les socialistes dès 1917, créent le Rote Gewerkschaft Opposition qui rejoint l’Internationale syndicale rouge.

En France, si les patrons mènent la guerre contre les militants syndicaux, l’Etat entretient des relations avec la CGT de Léon Jouhaux qui refuse la politique de la « chaise vide » prônée par les révolutionnaires. En 1936, les accords Matigon permettent aux syndicats d’accroître leur influence dans les entreprises avec l’institution des délégués d’ateliers (s’ils ne sont pas obligatoirement syndiqués, ils le sont souvent).

Les syndicats d’après-guerre

Les syndicats tiennent un rôle important dans les sociétés occidentales après la Libération en encourageant notamment la reconstruction. En Allemagne, les syndicats se reforment sous la protection des autorités américaines. Dès octobre 1944, Henry Rutz, membre de l’American Federation of Labor, se voit confier la charge d’approuver le premier comité de réorganisation des syndicats allemands. La Confédération allemande des syndicats (DGB), proche du parti social-démocrate (SPD), devient la principale centrale syndicale. Dans le contexte de la guerre froide et d’une Allemagne divisée, la voie révolutionnaire est totalement écartée au profit de la voie réformiste. En France, la division syndicale l’emporte : en 1947, Léon Jouhaux quitte la CGT et fonde Force ouvrière (CGT-FO), héritier de la branche réformiste de la CGT. En 1964, la majorité de la CFTC choisit de quitter le syndicat pour déconfessionnaliser et fonder la CFDT (Confédération française démocratique du travail). La CFDT croît au niveau des adhérents et s’implante dans des secteurs neufs (secteurs féminisés, déqualifiés, nouvelles entreprises des campagnes et employés).
En Allemagne, en France et au Royaume-Uni, les syndicats se voient intégrés à la société. En 1951, les salariés allemands disposent d’autant de délégués que les chefs d’entreprise dans les comités de cogestion des entreprises. En France, en 1945 sont institués les comités d’entreprise qui permettent l’intégration des syndicats et les délégués syndicaux désignés par les organisations ; des milliers de militants deviennent des permanents syndicaux. En 1968, les accords de Grenelle permettent de renforcer la présence syndicale dans l’entreprise avec le droit à des locaux spécifiques et le droit de diffuser des tracts au sein même de l’entreprise (et non plus à l’extérieur). Au Royaume-Uni comme en France, une large place est laissée aux syndicats dans la gestion des entreprises nationalisées. Ces avantages sont concédés dans ces différents pays en contre-partie d’une utilisation raisonnée du droit de grève (particulièrement réglementé en Allemagne, quasiment pas en revanche en France).

Bibliographie :
NOIRIEL Gérard, Les ouvriers dans la société française. XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1986.
SCHOR Ralph, Histoire de la société française au XXe siècle, Paris, Belin, 2004.

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