L’étude de la démographie de la France d’Ancien Régime est relativement jeune. Si dès le XVIIe ou XVIIIe siècle des esprits comme Vauban, Saugrain ou l’abbé d’Expilly portent de l’intérêt aux problèmes de la population, il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour voir la démographie historique s’épanouir. Les connaissances accumulées démentent généralement les clichés courants : on ne se marie pas précocement mais très tard, le modèle familial le plus courant n’est pas la famille élargie mais la famille nucléaire (parents et enfants), le nombre d’enfants n’est que rarement supérieur à 6 ou 7. Seule idée courante qui s’avère exacte : on meurt généralement jeune. Si les comportements démographiques de la France de l’Ancien Régime sont variables selon les régions, des tendances générales caractérisent tout le royaume : le mariage tardif, la très forte mortalité notamment des enfants, l’existence de crises démographiques périodiques.
Le royaume le plus peuplé d’Europe
L’évolution du nombre des habitants
Il n’y a pas de chiffres fiables du nombre d’habitants en France sous l’Ancien Régime, en particulier pour le XVIe siècle. Néanmoins, au fil du temps, les chiffres se précisent. Les historiens puisent leurs informations des sources fiscales (pour la taille) et des registres paroissiaux, plus ou moins bien tenus.
Le chiffre total de la population est difficile à connaître vers 1500 : les estimations vont de 15 à 18 millions d’habitants. Vers 1600, dans le cadre des frontières de la France actuelle, ce nombre aurait été de 18 à 20 millions. A la toute fin du XVIIe, les Français auraient été 21,5 millions. Ce nombre est porté à 22,5 millions en 1710, 24,6 millions en 1740, 25,7 millions en 1760. A la veille de la Révolution, la France compte 28,6 millions d’habitants. On assiste donc à une hausse constante, même si sur le court terme les variations peuvent être brutales, de l’ordre de 2 à 3 millions d’habitants (crises démographiques). La hausse est particulièrement rapide au XVIIIe siècle.
Vers 1700, un européen sur quatre est un Français, le royaume de France est alors un géant démographique. Au XVIIIe siècle, si la hausse est importante (+ 33 %), elle l’est beaucoup moins que dans certaines autres régions de l’Europe : Irlande (+ 110 %), Russie d’Europe (+ 80 %), Suède (+ 67 %) ou Angleterre (+ 61 %).
La répartition de la population
A l’intérieur du royaume, les disparités sont fortes entre les régions. Vers 1700, période où les sources deviennent fiables, les densités de population les plus importantes se rencontrent surtout dans le quart nord-ouest de la France. Le Nord compte alors une densité supérieure à 50 habitants au km2. Aussi, l’évolution du nombre des habitants est très variable selon les régions : au XVIIe siècle, les provinces frontalières de l’Est souffrent des ravages de la guerre, perdant en habitants, alors que le reste du royaume connaît une croissance démographique.
La population vit majoritairement à la campagne (plus de 80 %) dans des villages de très petite taille. Vers 1700, mois de vingt villes dépassent les 30 000 habitants. Paris est alors de loin la première ville de France avec 530 000 habitants, suivie par Lyon (97 000), Marseille (75 000), Rouen (64 000) et Lille (55 000). Au cours de la période, le nombre de citadins croît lentement. Après 1740, le développement s’accélère, touchant particulièrement les villes bénéficiant de l’essor économique de la période. Paris compte 600 000 habitants en 1789, Lyon 150 000 en 1780-89, Marseille 110 000 en 1794, Bordeaux 110 000 en 1790.
Les migrations
Si la stabilité des populations est le fait dominant, le phénomène migratoire n’est pas à négliger. Les migrations peuvent être définitives, permanentes, saisonnières ou conjoncturelles. La migration définitive concerne presque exclusivement l’exode rural, les villes devant leur croissance à l’apport des campagnes. La présence de migrants permanents est une constante de la société d’Ancien Régime : ce sont les mendiants, colporteurs, bergers, rémouleurs, maîtres d’école (etc.) qui transmettent les nouvelles et les modes, servant d’intermédiaires entre citadins et ruraux des différentes provinces. Les migrations temporaires ou saisonnières concernent essentiellement les hommes des régions de montagne et les zones portuaires. Les crises démographiques, les guerres entraînent aussi d’importantes migrations.
Quant à l’émigration en dehors du royaume, elle est minime, sauf pour les protestants français émigrés à la fin du XVIIe siècle (environ 173 000 entre 1685 et 1688).
La vie familiale sous l’Ancien Régime
La structure familiale
La famille conjugale limitée aux parents et aux enfants constitue la norme sous l’Ancien Régime. Elle comporte cependant des exceptions, comme dans le Midi, où la famille élargie est un modèle répandu. La famille conjugale peut se recomposer suite à la mort de l’un des deux parents. Les remariages après veuvage sont assez fréquents. On voit donc des ménages complexes, qui associent des enfants issus de différentes mères ou pères. Il arrive aussi de recueillir des orphelins de famille, neveux, nièces, pour cause de décès.
Les ménages ne sont en général pas très peuplés, surtout en ville. La famille type est composée des deux parents et de 4 ou 5 enfants. Pour exemple, en 1790 à Poitiers, la taille moyenne des ménages est de 4,56 personnes.
Le mariage
En France, on se marie tard, à l’exception des grandes familles (dont la famille royale) : 27 ou 28 ans en moyenne pour les garçons, 25 ou 26 pour les filles, cette tendance au mariage tardif étant moins marquée dans le premier XVIIe siècle mais s’accentuant au cours du XVIIIe. On distingue deux causes principales à cette pratique : d’une part le souci d’éviter une descendance trop nombreuse afin de ne pas diviser l’héritage (comportement malthusien) et d’autre part l’attente fréquente de la mort des parents, libérant des biens et des terres. L’allongement de l’espérance de vie au XVIIIe siècle a ainsi contribué à repousser l’âge du mariage. Le statut du célibat est peu envié mais se répand de plus en plus dans la population : 7 % pour la génération 1660-1664 et 8,5 % pour la génération 1720-1724.
Les contraintes sociales imposent que les époux appartiennent au même milieu social (homogamie) et qu’ils soient issus de zones géographiquement proches (endogamie). Cela ne signifie pas que l’amour n’existe pas mais qu’il s’inscrit à l’intérieur de ces deux règles. L’hypergamie (différence de statuts sociaux), alors rare, profite surtout aux filles et suscite des moqueries.
Il ne faut pas enfin oublier l’importance du remariage, après la mort d’un des conjoints. Au XVIIe siècle, 32 % des mariages impliquent au moins un veuf ou une veuve. Le remariage est plus facile pour les hommes que pour les femmes, engendrant de nettes différences d’âge. Les femmes ont beaucoup plus de mal à se remarier lorsqu’elles ont dépassé les 30 ans.
Enfin, on ne se marie pas à n’importe quel moment de l’année. Le calendrier liturgique est à suivre, interdisant pratiquement l’Avent (décembre) et le Carême (vers mars). Les contraintes économiques jouent également, empêchant de se marier au moment des récoltes (par mimétisme, cette habitude est suivie en ville). Les mois de janvier et février voient ainsi une très forte nuptialité. La cérémonie a lieu à l’église, qui doit rester portes ouvertes, l’engagement étant un acte public. La famille des fiancés est présente, ainsi que les relations et les protecteurs de haut rang si l’on en a. La cérémonie est suivie de fêtes et de jeux conformes aux coutumes et traditions qui varient selon les régions.
Les naissances
Le mariage a pour finalité la conception, comme l’enseigne lÉglise. Le taux de natalité dans la France de l’Ancien Régime est proche de 40 pour mille, mais diminue au cours de la période. Au maximum, une femme pourra engendrer 15 enfants au cours de sa vie. Généralement, elle en accouche de 6 ou 7 dont la plupart meurent précocement. Les naissances illégitimes sont très rares (1 %).
Le moment de l’accouchement est attendu mais redouté, pouvant comporter des risques tant pour la mère que pour l’enfant. Les matrones ne disposent que de connaissances limitées voire fausses et dangereuses, bien que l’on assiste à des progrès au XVIIIe siècle. L’ignorance ainsi qu’une hygiène déplorable explique une bonne partie des morts en couche, jusque dans les familles aisées. Le nouveau-né étant un mort en puissance, il faut le baptiser rapidement pour qu’il puisse gagner le paradis en cas de mort précoce. Le baptême, qui a lieu quelques heures après la naissance ou le lendemain, est une fête où l’enfant est vêtu aussi somptueusement que possible. Le prénom est pris généralement dans la famille ou l’entourage proche : grand-père ou grand-mère, oncle ou tante, parrain ou marraine.
Après l’accouchement, l’allaitement rend temporairement les femmes stériles, une mort précoce entraînant en revanche un retour rapide de l’ovulation. De ce fait, on a en moyenne un enfant tous les ans et demi. La ménopause survient dès la quarantaine. Lorsque le nombre d’enfants est jugé raisonnable par les parents, ils cessent les relations sexuelles pour ne pas fragmenter le patrimoine. L’évolution des mentalités contribue aussi à la baisse de la natalité: l’attachement à l’égard des enfants se développe (ce qui signifie pas qu’il n’existait pas auparavant) poussant les parents à mieux s’occuper d’eux et donc à limiter leur nombre. Les parents ont alors recours à la contraception, plus ou moins efficace, qui se développe au XVIIIe siècle (préservatifs en peau de porc, recettes de rebouteux ou coït interrompu).
La mort dans l’Ancien Régime
La mortalité ordinaire
La mortalité ordinaire est marquée par les taux très importants de mortalité juvénile et infantile. Près de la moitié des enfants meurent avant l’âge adulte. La moitié de ces enfants trouvent la mort avant un an, souvent les premiers jours ou premières semaines après la naissance. Les maladies de l’enfance (rougeole, rubéole, varicelle, oreillons, coqueluche) sont souvent mortelles. Les enfants sont aussi touchés par les accidents, les parents ne pouvant pas les surveiller : noyades, piétinements par les animaux, insolations, etc.
Une fois l’âge adulte atteint, un individu peut espérer vivre quarante ans. Un quinquagénaire est déjà un vieillard. La mortalité des femmes en couches est de 1 à 2 %, taux relativement faible mais non négligeable, un peu plus élevé que celui de la mortalité par les accidents du travail chez les hommes. Hommes et femmes sont égaux devant les maladies : rage, affections pulmonaires, tumeurs cancéreuses… On vit en moyenne plus longtemps dans les milieux aisés que dans les milieux pauvres, grâce à une meilleure nutrition, la possibilité de déménager et un habitat plus confortable (pas d’entassement dans les quartiers insalubres).
La mortalité extraordinaire : les crises démographiques
La crise démographique est une caractéristique de l’Ancien Régime, revenant en moyenne tous les 10 à 15 ans. Une crise peut tuer en quelques mois un quart de la population d’un village, le dixième de celle d’une ville. Durant entre six mois et deux ans, elle peut être causée par une épidémie, par une crise de subsistance, parfois l’alliance des deux (une disette qui affaiblit les corps et prépare le terrain pour une épidémie). Le chiffre de décès habituels est alors multiplié par 4 ou 5, le nombre de conceptions diminue, le nombre de mariages s’effondre. Une reprise survient ensuite : la mortalité redevient normale, le nombre de conceptions et de mariages augmente jusqu’à atteindre des niveaux bien plus élevés que les années précédentes.
Face à la mort
La mort est omniprésente durant l’Ancien Régime : il est rare qu’une journée passe sans que les habitants entendent sonner le glas des morts au clocher d’une église. La mortalité infantile est si fréquente que les parents, s’ils sont évidemment attristés, ne sont pas effondrés par la mort d’un des enfants. Celle-ci est accueillie comme une fatalité. La situation est différente pour la mort de l’épouse qui « reste le déchirement majeur, et souvent prématuré, pour les hommes de l’âge classique qui se sont confiés à leurs Mémoires » (M. Vovelle).
La mort se prépare toute la vie, afin d’assurer le Salut de son âme. La mort brutale et accidentelle est redoutée, on lui préfère la « belle mort », lente et consciente. Le chrétien se prépare toute sa vie à ce moment décisif. L’agonisant doit mourir dignement et en paix. Chez les Grands, la mort donne lieu à toute une cérémonie : Louis XIII agonise au son d’un orchestre et Mazarin habillé comme pour aller au bal. Au XVIIIe siècle, l’ombre de la mort recule, elle devient moins obsédante. La mortalité infantile diminue, sans qu’il faille pour autant exagérer ce phénomène : au début du XIXe siècle, l’espérance de vie des Français est de 36 ans.
Bibliographie :
BÉLY Lucien, La France moderne. 1498-1789, Paris, PUF, 2003.
GARNOT Benoît, La population française : aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Ophrys, 2005.