Philisto

L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

La fin du Moyen-Âge est une période de crise, tant au niveau temporel (peste noire, guerres, révoltes populaires) qu’au niveau spirituel. A partir de 1378, la Chrétienté se divise en deux lors du Grand Schisme : jusqu’en 1417, deux voire trois papes prétendent au gouvernement de l’Eglise. Par ailleurs, les laïcs tentent de participer plus activement à la vie religieuse et, plongés dans une certaine inquiétude, cherchent de nouvelles voies pour leur Salut. De nouveaux mouvements hérétiques émergent et mettent en avant les thèmes et idées de la Réforme du XVIe siècle, aidés par l’affaiblissement de la papauté et l’évolution intellectuelle et spirituelle de l’Occident.

La papauté et le Schisme

Le pape à Avignon

Après la mort du pape Boniface VIII (1303) s’ouvre une période d’incertitudes. Le pape Clément V, alors en France, est sollicité par le roi pour abattre l’ordre du Temple (qu’il ne peut sauver) et convoque pour 1310 un concile à Vienne dans le but de réformer l’Eglise. Rome, capitale de la Chrétienté, est alors une ville tumultueuse, au coeur de la lutte entre les Guelfes (partisans de la papauté) et les Gibelins (soutiens des Hohenstaufen, dynastie allemande) : y retourner s’avère dangereux. En 1309, le pape s’installe à Avignon, dans une région riche et calme, à proximité du Comtat venaissin, cédé par Philippe le Hardi à la papauté en 1274. Les Français deviennent prépondérant dans l’Eglise : cinq papes français se succèdent et plus de 80 % des cardinaux sont français.

Les papes d’Avignon tendent à renforcer la papauté, seule capable à leurs yeux de mener la réforme de l’Eglise et de sauvegarder son indépendance. La papauté d’Avignon s’organise en une monarchie centralisée. Elle doit faire face à d’énormes dépenses dues aux guerres dans les Etats pontificaux et au besoin de garder son prestige (construction d’un palais et d’autres bâtiments, aumônes).

Le Grand Schisme

Le schisme éclate alors que la papauté revient à Rome (1377), la ville étant pacifiée : à la mort de Grégoire IX, la foule romaine, ne voulant pas d’un nouveau pape français, pousse les cardinaux à élire un italien, Bartolomeo Prignano, devenu Urbain VI. Mais ce choix se révèle désastreux, le nouveau pape ayant un très mauvais caractère. La plupart des cardinaux quittent Rome et élisent un autre pape à Fondi : Robert de Genève, devenu Clément VII (1378). Urbain VI occupant Rome, le second pape décide de retourner à Avignon. La Chrétienté se divise en deux : la France et ses alliés, l’Ecosse, les royaumes ibériques soutiennent le pape d’Avignon, tandis que l’Angleterre, la Flandre, la Pologne, la Hongrie, l’Empire et les royaumes scandinaves se rangent du côté du pape romain.

Le schisme dure pendant plus de quarante ans, malgré des tentatives pour le faire disparaître (comme l’idée d’une abdication des deux papes lancée par l’Université de Paris en 1394). Quand un des deux papes meurt, un autre le remplace, chacun des deux camps étant persuadé de la légitimité de l’un ou l’autre pape. En 1409, les cardinaux se réunissent en un concile à Pise et déposent les deux papes, en désignant un nouveau : Alexandre V à lequel succède dès 1410 Jean XXIII. Loin de résoudre le schisme, le concile de Pise l’aggrave : ce sont maintenant trois papes qui se partagent la Chrétienté. Le concile de Constance (1414-1418), réunissant évêques, abbés et docteurs d’universités, défait le concile de Pise et parvient à obtenir l’abdication de Jean XXIII (1415), puis du romain Grégoire XII (même année). En revanche, l’avignonnais Benoît XIII persévère jusqu’à sa mort (1423). Le décret Haec Sancta adopté en 1415 place l’autorité du concile au-dessus de celle du pape. L’unité de la Chrétienté est restaurée. Le 11 novembre 1417, Odon Colonna est élu pape sous le nom de Martin V. En 1418, le concile, pensant avoir rempli son rôle, se dissout.

La crise conciliaire

Si l’unité de la Chrétienté est restaurée, la position du pape demeure fragile. Martin V refuse de voir dans le concile un pouvoir qui lui est supérieur. Il ne doit être à ses yeux qu’un auxiliaire. Le concile de Bâle (1431) décide de restreindre encore davantage les prérogatives du pape. Le pape Eugène IV prononce la dissolution du concile en décembre 1431 mais celui-ci continue néanmoins à siéger. En 1437, Eugène IV transfère le concile à Ferrare, mais les extrémistes restent à Bâle. Ceux-ci désignent alors leur pape, Félix V. Un nouveau schisme s’ouvre, mais n’a qu’une faible portée, le concile de Bâle étant déconsidéré. En revanche, le concile de Ferrare (transféré à Florence en 1439) est un succès : il aboutit à un accord avec les Grecs fortement menacés par les Turcs. La bulle Laetentur Coeli, proclamant l’union des deux Eglises, fait beaucoup pour la restauration du prestige pontifical. Le pape sort vainqueur de la crise conciliaire.

Le clergé et les fidèles

Un contexte de crises

Outre le Grand Schisme qui affaiblit la papauté, l’Eglise n’est pas épargnée par les fléaux qui frappent le bas Moyen-Âge : la peste noire et les guerres conduisent à l’abandon de monastères, et certaines paroisses n’ont plus de desservant. La vente des indulgences (rémission des peines) est multipliée pour pallier la baisse des revenus ecclésiastiques et l’Eglise se met à recourir à des clercs d’un niveau inférieur, parfois peu instruits, pour remplacer les desservants disparus.
Dans le même temps, le monachisme traditionnel et les ordres mendiants s’éloignent de leur règle et ne répondent plus aux attentes des fidèles. Des tentatives de réforme sont toutefois engagées et connaissent quelques succès parmi les clercs réguliers (mouvement de la « Stricte Observance » au XIVe siècle, visant à ramener les ordres monastiques à respecter les règles bafouées).

Les sensibilités religieuses

L’Eglise conserve malgré tout la place prépondérante qu’elle occupe dans la vie des fidèles, ceux-ci étant restés très éloignés des obscures querelles autour du schisme. Chaque dimanche, on continue à aller à la messe et les sacrements restent des rites de passage fondamentaux dans la vie. L’Eglise renforce même son contrôle sur les âmes : la confession auprès du prêtre est désormais obligatoire, au moins une fois par an. L’élévation du calice (coupe contenant le vin) est introduite pendant la messe, mettant davantage l’accent sur l’Eucharistie et le sacrifice du Christ pour le rachat des pêchés de l’humanité. La mort devient de plus en plus présente parmi les vivants avec l’apparition des cimetières près des églises paroissiales ou au coeur des villes, ou encore à l’aide de nombreuses représentations mortuaires telles les Danses macabres ou le Jugement dernier. Le purgatoire, intermédiaire entre le paradis et l’enfer, est « inventé » par les maîtres parisiens vers 1200 et désigne le lieu où les âmes attendent dans la souffrance leur entrée au paradis. S’imposant comme troisième lieu de l’au-delà, il donne lieu à des pratiques mercantiles, visant à y réduire ou annuler son séjour, par l’achat des indulgences ou le versement de sommes énormes lors du testament à l’Eglise (Jacques Chiffoleau a nommé ce phénomène « la comptabilité de l’au-delà »). Enfin, si les croisades ne sont plus qu’un lointain souvenir, les pèlerinages connaissent en revanche une grande vivacité (Saint-Jacques de Compostelle, Rome, Montserrat, tombeau de Thomas Becket à Canterbury).

Les nouvelles voies du Salut

Certains hommes, sans s’attaquer aux structures de l’Eglise, se dirigent vers de nouvelles voies, à la recherche d’une union avec Dieu. Ils tentent de s’insérer entre la religion formaliste de l’Eglise et la piété populaire, en s’ouvrant par exemple à la magie et les superstitions. Ce mouvement se développe surtout en Rhénanie et dans les Pays-Bas avec Ruysbroeck (mort en 1381), Thomas à Kenpis (né en 1380), Gérard Groote et Florent Radewin (fondateurs de la communauté des Frères de la vie commune à Deventer, Hollande). Groote et Radewin insistent sur la nécessité pour les prêtres de vivre avec les laïcs, afin de donner l’exemple. Les Frères de la Vie commune (nommés ainsi car vivant en commun) prient en langue vulgaire et donnent une grande importance à l’éducation. Leur programme est résumé dans l’Imitation de Jésus-Christ de Thomas à Kempis et connaît un grand succès. Ils forment un réseau d’écoles qui sera l’un des foyers les plus actifs de l’humanisme en Europe du Nord (Érasme y sera élève).

De nouvelles hérésies

Les hérésies au XIVe siècle

A la fin du Moyen-Âge, les anciennes hérésies n’ont pas disparu et des communautés vaudoises se maintiennent dans certaines régions malgré l’Inquisition (France du Sud-Est, Bohême, Rhénanie). De nouvelles hérésies naissent, conséquences des évolutions intellectuelles des XIIe et XIIIe siècles (lollards comme hussites se réclament de deux universitaires : John Wyclif et Jean Huss). Exprimant une volonté de réforme, elles mettent l’accent sur les défauts de l’Eglise et pointent le désir des laïcs de participer davantage à leur Salut, notamment par la traduction et la diffusion de la Bible.

Wyclif et les lollards

John Wyclif (1320-1384) est un grand esprit anglais, un universitaire (« la fleur d’Oxford ») qui domine intellectuellement les théologiens qui lui sont opposés. Il a participé à des ambassades et reçu des protections, comme celle du puissant Jean de Gand, duc de Lancastre. Il commence par distinguer l’Eglise visible de l’Eglise véritable : la première est celle de la papauté, riche et avide, qui accapare les Ecritures saintes ; la seconde est la vraie Eglise, celle des pauvres et des humbles, reconnus par Dieu et qui iront au paradis.
Wyclif réclame le renoncement aux richesses de la part de l’Eglise (ce qui intéresse l’aristocratie anglaise) et la traduction de la Bible en langue vulgaire. Une équipe de traducteurs à Oxford parvient à traduire la Bible en anglais, non sans difficulté du fait du caractère sacré du texte. D’autres textes sont également traduits : cycles de sermons, encyclopédies, et traités résumant la pensée de Wyclif. Malgré ses soutiens, Wyclif échoue : les manuscrits découverts sont systématiquement détruits, l’université d’Oxford est épurée tandis que les prêtres lollards qui participent à la révolte populaire de 1381 inquiètent les couches dirigeantes de la société anglaise (bien que Wyclif ait pris ses distances avec les révoltés). Les idées de Wyclif sont condamnées en 1382, et lui-même subit une condamnation posthume en 1415 à Constance. La répression est particulièrement efficace.

Le hussisme

Le mouvement hussite descend de la pensée de Wyclif, qui s’est répandue en Europe. C’est en Bohême, royaume dépendant de l’Empire, que naît le husssisme. L’Eglise de Bohême entame alors un mouvement réformateur, destiné à lutter contre ses défaillances internes (simonie, opulence du haut clergé, inculture des prêtres). Jean Huss (1369-1415), maître de l’université de Prague, est l’un de ces intellectuels qui participent à ce mouvement réformateur. Lors de prédications, il diffuse avec quelques réserves les idées de Wyclif. En 1410, il est excommunié et interdit de prédication. En 1412, lors d’une vente d’indulgences à Prague, il fait part de son indignation au peuple et déclenche une émeute, durement réprimée. L’empereur Sigismond le presse de venir se défendre au concile de Constance. Espérant pouvoir y exposer et développer ses idées, il s’y rend. Il y est arrêté, condamné puis brûlé (1415).

Loin d’éteindre l’hérésie, la mort de Huss l’aggrave : il devient un martyr de la papauté et de l’Empire. La Bohême entière se soulève (défenestration des conseillers catholiques de l’empereur en 1419) et le hussisme finit par devenir un « programme national ». Les armées tchèques, commandées par Jean Zizka l’Aveugle puis Procope le Rasé sont victorieuses jusqu’en 1436. Pour autant, les succès ne sont pas pleinement mis à profit car les hussites sont divisés en deux courants : les modérés calixtins qui revendiquent l’utraquisme (communion sous les deux espèces : pain et vin) et les radicaux taborites, issus de milieux modestes, qui réclament l’abolition de la propriété. L’opposition devenant vite violente, les calixtins décident de se rapprocher de Rome. Le concile de Bâle de 1433 aboutit à un compromis avec les modérés (Compactata de Prague), tandis que les taborites se marginalisent. Si l’hérésie disparaît, l’Eglise a été obligée d’accepter quatre revendications fondamentales du hussisme : la prédication libre, l’utraquisme, la correction publique des pêchés et l’acceptation des sécularisations déjà accomplies.

Bibliographie :
Balard, Michel ; Genet, Jean-Philippe ; Rouche, Michel. Le Moyen Âge en Occident. Hachette supérieur, 1999.
Berstein, Serge ; Milza, Pierre. De l’Empire romain à l’Europe. Ve-XIVe siècle (Tome 2). Hatier, 1995.
Heers, Jacques. Précis d’histoire du Moyen Âge. PUF, 1990.

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