Jusqu’au début du VIIe siècle, les cadres romains se maintiennent en Occident. Les structures d’exploitation ne changent pas, le commerce reste centré sur la Méditerranée, le marasme économique débuté au IIIe siècle se poursuit. Les transformations sont lentes durant le Haut Moyen Âge, l’économie médiévale ne se mettant que très progressivement en place. Le VIIe siècle est un siècle de rupture : de nouvelles structures d’exploitation foncière apparaissent, les centres du commerce se déplacent du sud vers le nord, l’aristocratie se renouvelle, le Christianisme se diffuse dans les campagnes. Mais l’Occident ne sort véritablement de l’Antiquité qu’avec l’Empire carolingien qui va laisser un héritage décisif tant sur le plan culturel, religieux ou politique. L’Occident s’uniformise, de la monnaie à l’écriture, pour former la base de la culture européenne.
Les transformations des cadres économiques
Les campagnes
Les campagnes du Haut Moyen Âge occidental sont plongées dans le contexte de la crise agricole et démographique qui affecte l’Occident depuis le IIIe siècle, aggravée par les migrations barbares. La peste apparaît à partir de 542 et connaît des récurrences jusqu’au VIIIe siècle. Les structures foncières romaines perdurent. De petites propriétés paysannes en déclin côtoient de grandes propriétés (villae) cultivées par des esclaves.
Une amélioration climatique et un regain démographique entraînent une reprise à partir des VII et VIIIe siècles. Défrichements et conquête de terres entraînent un accroissement de la population. La structure des domaines d’exploitation se modifie : la villa bipartite apparaît, composée par la réserve (exploitation directe par le propriétaire, corvées des tenanciers) et par les manses (exploitations indirectes, lots confiés aux tenanciers contre des redevances : cens et corvées). Les rendements s’améliorent, la rotation triennale s’impose, les domaines se multiplient.
L’agriculture est alors largement dominée par les céréales, complétées par la vigne et le bétail. La culture s’effectue avec un araire, outil en fer assez précieux. La pratique de l’esclavage s’essouffle, entraînant une multiplication des moulins (la force hydraulique remplaçant la force humaine).
Les villes
Du IVe au VIIe siècle, les villes d’Occident se rétractent à l’intérieur de murailles afin de mieux se défendre, de maintenir les fonctions administratives centralisatrices et les conditions d’un lieu de rencontres et d’échanges. La ville est en déclin : l’essentiel des populations a trouvé refuge dans les campagnes et le rôle économique de la cité recule. Cependant, la ville reste le principal foyer de culture, un centre chrétien solide, un appui militaire sûr. L’évêque est le personnage central de la cité et ses fonctions débordent le strict domaine religieux : entretien des murailles, aqueducs, thermes, écoles, création d’hospices, charité pour les pauvres,…
Certains monuments antiques comme les amphithéâtres sont réemployés, reconvertis en places fortes ou carrières notamment. Les églises se multiplient.
Après le VIIe siècle, un essor commercial se fait jour à la périphérie des villes, en bordure de voies de communication, souvent autour de basiliques suburbaines ou d’abbayes (comme à Toulouse autour de l’église Saint-Sernin et à Londres où se développe un quartier hors les murs autour du port de la Tamise).
Le commerce
Le Haut Moyen Âge voit le basculement des voies du grand commerce de la Méditerranée vers la mer du Nord. Les vieux trafics tournés vers l’Orient par les grands ports s’essoufflent (Barcelone, Marseille, Gênes, Ravenne,…) tandis qu’au Nord apparaissent ou se développent de grands centres commerciaux : les wiks ou portus. Les ports de Quentovic (en Gaule), Dorestadt (en Frise), de Haithabu (au Jutland) ou le vieux comptoir de Londres sont en pleine croissance. Ces nouveaux centres échangent des produits du Nord (esclaves, ambre, graisse, fourrures), du Sud (luxe d’Orient, vin, huile), de l’Est (bois, armes, métaux) et de l’Ouest (blé, vin) et font le lien entre le grand commerce et l’écoulement des produits de l’arrière-pays.
L’époque voit aussi la fin de la monnaie antique (monométallisme or). A partir du VIIe siècle, les Mérovingiens frappent des deniers d’argent ; les Anglo-saxons et les Frisons frappent à la fin du VIIe siècle les sceattas, petites pièces d’argent de faible poids. Pépin le Bref instaure en 755 le monopole royal sur la frappe monétaire, uniquement des deniers d’argent qui ne mentionnent pas d’autre nom que celui du roi. La grande réforme de Charlemagne de 793-794 instaure un denier plus lourd (1,80 g) et surtout un système de monnaie de compte qui va perdurer pendant tout le Moyen-Âge (1 livre = 20 sous, 1 sou = 12 deniers, mais le denier demeure la seule monnaie réelle !).
La société romano-barbare
La fusion des populations romaines et barbares
Les peuples barbares implantés dans les anciennes provinces romaines sont numériquement peu nombreux dans leurs effectifs par rapport aux populations autochtones. Les Wisigoths, probablement les plus nombreux, sont peut-être 100 000 lors de leur installation en Gaule du Sud, alors que la péninsule ibérique compte au même moment 7 à 8 millions d’habitants. Pour éviter la fusion des populations, les chefs barbares décident d’édicter des mesures visant par exemple à interdire ou décourager le mariage mixte entre indigéno-romains et barbares (méthode utilisée par exemple par les Wisigoths des années 480 à 580). Ces stratégies montrent vite leurs limites : ainsi l’interdiction des mariages mixtes est difficile à faire appliquer. Chez les Francs, les unions interethniques sont admises dès le Ve siècle. A la fin du VIe siècle, l’historien Grégoire de Tours parvient à différencier sans difficulté qui est romain et qui ne l’est pas ; à la fin du VIIIe siècle, l’identité romaine a complètement disparu.
Les potentes (puissants)
Les potentes constituent une infime partie de la population et sont issus de la fusion des aristocraties d’origine romaine et germanique. Les élites romaines et barbares ont découvert leur grande complémentarité, les premières disposant de la richesse foncière et du pouvoir religieux, les secondes du pouvoir politique et militaire.
Les potentes assument des pouvoirs publics :
- près du roi : maires des palais, trésoriers, référendaires.
- dans les provinces : comtes, ducs.
- au niveau des hautes charges ecclésiastiques : évêques, abbés, abbesses.
Ils protègent les populations en s’entourant de troupes de guerriers, fondent des églises rurales sur leurs domaines afin d’assurer l’encadrement spirituel des fidèles et des monastères où ils font prier pour leur famille (souci de la mémoire des ancêtres).
Les pauperes (pauvres, non nobles)
Le Haut Moyen-Âge voit la dégradation progressive de la condition des paysans. Jusqu’au VIIIe siècle, pour les pauperes, l’ascension sociale est possible. A partir de l’époque carolingienne, les écarts se creusent entre potentes et pauperes et la mobilité sociale se réduit.
De nombreux paysans perdent la propriété de leurs terres et se placent sous la protection d’un puissant (ils deviennent tenanciers), d’autres perdent leur liberté en se vendant comme esclave. Dans les grands domaines, les esclaves sont souvent chasés par leur maître, c’est-à-dire qu’ils se voient confier un manse. On a à l’époque carolingienne une homogénéisation des conditions entre hommes libres et esclaves qui se traduit par un nivellement vers le bas. Quant aux petits propriétaires libres, dont la terre est appelée « alleu », on sait peu de choses sur leur compte.
Le triomphe de l’Eglise
L’essor du monachisme
La dynamique de l’Eglise provient essentiellement des monastères, véritables têtes de pont de la christianisation. Un premier mouvement monastique apparaît en Gaule méridionale au Ve siècle avec les monastères de Lérins (fondé en 410) et de Saint-Victor de Marseille (fondé en 418). De là, le mouvement gagne l’ensemble de la Gaule, l’Italie et l’Irlande qui va devenir l’un des principaux centre de diffusion du monachisme. Né en Irlande en 540, saint Colomban fonde des monastères sur le continent dont Luxeuil dans les Vosges et Bobbio en Italie du Nord. Il élabore une règle d’une grande rigueur, basée sur le jeûne perpétuel et les mortifications physiques, ce qui ne l’empêche pas de rencontrer un grand succès. Plus influent encore, saint Benoît, au VIe siècle, fonde le monastère du Mont-Cassin et rédige la Règle de saint Benoît vers 540 qui propose un mode de vie autarcique, équilibré entre prière, travail (physique et intellectuel) et repos. Prônée par Grégoire le Grand (540-604), la règle bénédictine se diffuse progressivement. La grande réforme de 817 de Louis le Pieux et Benoît d’Aniane impose la règle bénédictine à tous les monastères d’Occident.
La christianisation des moeurs
Peu à peu, au cours du haut Moyen Âge, les clercs séculiers, les moines et les rois chrétiens parviennent à imposer aux laïcs (l’ensemble des non-ecclésiastiques) des modes de pensée nouveaux. La naissance n’est ainsi plus perçue comme la véritable entrée dans la vie : c’est le baptême, sacrement fondamental durant lequel l’enfant reçoit son nom et entre dans la communauté chrétienne. Le mariage est étroitement encadré et certaines règles sont imposées : la polygamie est proscrite, l’union en deçà du septième degré de parenté est interdit pour éviter une trop grande consanguinité. Le mariage est par principe indissoluble, même si des cas de nullité de mariage peuvent être prononcés pour différents motifs (par l’exemple pour vice de forme : lien de parenté proche, stérilité ou impuissance ; ou encore du fait de l’entrée des époux dans la vie monastique) ; des puissants usent de leur influence auprès des évêques pour obtenir des annulations de complaisance.
Dans la vie quotidienne, le clergé insiste sur les vices, qui font risquer la damnation, et les vertus, qui permettent l’accès au paradis. A l’époque carolingienne sont écrits des traités de morale destinés aux laïcs, dont le plus célèbre est le Livre des vices et des vertus d’Alcuin.
Il naît un sentiment d’appartenance à une communauté qui explique en partie la libération de la classe servile (esclaves) par les côtoiements et les brassages entre les fidèles.
La Renaissance carolingienne
Sous le règne de Charlemagne et de Louis le Pieux a lieu un renouveau des lettres et des arts dont les principaux initiateurs sont les clercs. Charlemagne mène une réforme de l’Eglise. Le capitulaire Admonitio generalis de 789 exige que dans chaque évêché il y ait une école pour améliorer la formation des prêtres du diocèse. La dîme est instaurée, obligeant chaque producteur a verser le dixième de ses récoltes à l’Eglise. La multiplication des scriptoria (ateliers de copistes) et l’invention de la minuscule caroline vers 770 permettent la diffusion des livres de culte. Au Palais impérial d’Aix-la-Chapelle, centre de la culture latine retrouvée et restaurée, réside une Cour d’intellectuels autour de l’empereur, dont Alcuin (anglo-saxon), Théodulphe (wisigoth) et Paul Diacre (lombard). La génération suivante est marquée par les historiens Eginhard (Vie de Charlemagne) et Nithard (Histoire des fils de Louis le Pieux) mais aussi par Jean Scot Erigène (irlandais, traducteur du grec), Hincmar (archevêque de Reims) ou Raban Maur. Le patrimoine littéraire antique est conservé tandis que les lettres, les sciences et les arts s’épanouissent.
Bibliographie :
BALARD Michel, GENET Jean-Philippe, ROUCHE Michel, Le Moyen Âge en Occident, Paris, Hachette supérieur, 1999.
BÜHRER-THIERRY Geneviève, L’Europe carolingienne (714-888), Paris, Armand Colin, 2001.
HEERS Jacques, Précis d’histoire du Moyen Âge, Paris, PUF, 1990.