Philisto

L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

À la fin de la première punique, Rome qui n’était encore qu’une puissance secondaire, s’imposait face à la puissante Carthage. La paix signée apportait aux romains la main-mise sur les grandes îles de la Méditerranée. Cependant l’humiliation faite à Carthage n’a pas été oubliée par le parti carthaginois belliqueux et le contrôle du détroit de Messine est toujours disputé par ces marchands puniques. Ces frictions ne semblent pourtant pas menacer la paix et les échanges commerciaux continuent d’être florissants entre les deux républiques. La guerre sera pourtant ranimée et les deux empires seront tour à tour menacés de disparition.

Les deux républiques

Carthage

Fondée selon la légende par Alyssa (Didon pour les romains), la cité carthaginoise possède une constitution républicaine. Elle est en fait dirigée par deux grandes familles qui se disputent le pouvoir au gerontion (N.B. : les membres se nomment « gérontes »), le sénat carthaginois. Ces familles sont les Magonides (dont fait partie Hannon le Grand) et les Barcides (surnom acquis par Hamilcar, le père de Hannibal et signifiant la foudre). Les grandes différences entre ces deux familles sont essentiellement politiques. Les Magonides sont commerçants, souhaitent asseoir leur domination sur l’Afrique et se rapprocher de Rome. La majeure partie de leur fortune provient des taxes et impôts qu’ils sont chargés de récolter.
À l’inverse, les Barcides sont pour une alliance avec les numides et une expansion vers les îles occidentales de la Méditerranée (Sicile, Sardaigne, Corse, Baléares…), mais surtout en Espagne pour ses grandes richesses minières. Les membres de cette famille sont tous militaires ou agriculteurs ce qui leur procure d’immenses revenus. Leurs plantations sont parmi les plus productives au monde (un traité sur l’agriculture écrit par un certain Hannon était à l’époque très renommé et fut d’ailleurs le seul ouvrage que les romains ramenèrent de Carthage lors de sa prise). Les Barcides reçoivent également le tribut versé par leurs féaux et vassaux d’Espagne. Ces tributs leurs sont versés à titre personnel mais ils doivent en verser une partie à Carthage. La famille des Barcides est également marquée par sa volonté belliqueuse envers Rome.

Avant le déclenchement de la seconde guerre punique, la domination de Carthage s’étendait sur un très vaste territoire. Des côtes de la Cyrénaïque aux côtes atlantiques de l’actuel Maroc ainsi que les Baléares et toute la partie sud-est de l’Espagne. Cependant, ces territoires n’étaient que faiblement unis à la capitale : les libyens, les baléares, les numides et les espagnols n’étaient liés à Carthage qu’avec tiédeur.

Rome

Fondée selon la légende par Romulus, la cité latine possède également une constitution républicaine. Elle est surtout dirigée par les familles romaines les plus puissantes (Aemilii, Fabii, Scipii, Claudii, Fulvii, Postumii, Brutii…). Cependant, deux grands mouvements étaient à l’œuvre, les populares et les aristocrates. Les premiers souhaitent une politique de colonisation afin d’établir des citoyens romains pauvres ou des vétérans des légions dans des cités (récemment fondées ou déjà existantes) sur les territoires alliés ou nouvellement conquis. Les seconds ont une politique mercantile et s’appuient sur la ville voisine de Capoue (qui d’ailleurs, frappe la monnaie romaine). Les représentants des grandes familles romaines proviennent tous de ces deux mouvements.

Avant le déclenchement de la guerre, la domination romaine s’étend sur toute l’Italie (bien qu’incertaine dans la plaine padane et la Vénétie), l’Illyrie (tout juste conquise), la Corse et la Sardaigne (là encore, récemment conquises), la Sicile moins Syracuse toujours indépendante et alliée de Rome, et enfin, Massalia (indépendante et alliée).

Les deux armées

L’armée punique

L’armée carthaginoise est uniquement composée de mercenaires. Les carthaginois eux-mêmes ont ce statut.
Les forces en présence au déclenchement de la guerre sont très largement inférieures aux forces romaines tant au nombre qu’en expérience. Ces forces peuvent être réparties en quatre groupes : la flotte, l’armée de défense de Carthage, l’armée de défense d’Hispanie et l’armée d’invasion.
La flotte de guerre est d’environ cinquante-cinq navires. Ce qui est gravement inférieur aux forces navales romaines et se cantonne donc à protéger les environs de la métropole et les routes commerciales primordiales.
L’armée de défense de Carthage est composée de miliciens inexpérimentés mais aussi de mercenaires Métagonites (piquiers libyens au nombre de quatre mille).
L’armée de défense d’Hispanie sous les ordres de Hasdrubal était composée de douze mille fantassins et deux mille six cents cavaliers (tous africains) ainsi que vingt-et-un éléphants et trente-sept navires de guerre.
Enfin, l’armée d’invasion commandée par Hannibal et comptant cinquante mille fantassins et neuf mille cavaliers passera par les Pyrénées et les Alpes pour entrer au cœur de l’Italie.
À toutes ces forces armées, il faut ajouter la grande quantité d’espions, de transfuges et d’informateurs que les puniques ont établis dans le Sud de la Gaule et dans toute l’Italie.
La manière de combattre de ces soldats est plus une guerre d’embuscade et de coups de mains. Hannibal, lui, pratiquera sur les champs de bataille sa tactique d’enveloppement inspirée de celle d’Alexandre.

Les plans de Hannibal répondent à plusieurs impératifs. Le premier est de faire croire aux romains qu’il va tout d’abord conquérir le Nord de l’Espagne pour s’assurer sa soumission avant son départ. Il doit également traverser l’Espagne, les Pyrénées et le Sud de la Gaule et il doit arriver sur le territoire romain sans avoir encore combattu pour ne pas être bloqué ou retardé, sinon, les troupes de Sicile pourraient s’emparer de Carthage. Il sait également que tous les chemins côtiers menant de Gaule en Italie sont déjà tenus et fortifiés par les troupes de Massalia. Il va donc devoir passer par les Alpes. Des deux trajets possibles à travers les montagnes, il privilégia et prépara celui du Sud car plus rapide et moins dangereux. Il a par ailleurs déjà disposé des guides et interprètes sur tout le trajet qu’il empruntera du Nord de l’Espagne jusqu’au Nord de l’Italie. Pour faire croire qu’il conquerra en priorité l’Espagne, il marche lentement et attaque tous ceux qui refusent de se soumettre, puis, après deux mois, il change complètement de rythme et traverse à la vitesse de l’éclair les Pyrénées et se dirige à marche forcées vers le Rhône.

L’armée romaine

L’armée romaine, quant à elle, est constituée de soldats-paysans recrutés sur le territoire romain mais surtout sur chez les alliés (les socii). Ces alliés fournissent la majeure partie des forces romaines dont plus de la moitié de la cavalerie. En tout, ce sont huit légions qui ont été enrôlées pour le début de la guerre sous les ordres de Cnaeus et Publius Scipion (pour l’Espagne et la Gaule) ainsi que Sempronius Longus (pour Carthage à partir de la Sicile). La tactique romaine est celle du manipule. C’est-à-dire une triple charge, en premier, la charge des hastati (les jeunes recrues), puis celle des princeps et enfin les triarii (les vétérans armés à la grecque). Les soldats des nouvelles charges se plaçant dans les intervalles des charges précédentes (formation en quinconce). La cavalerie n’a qu’un rôle très secondaire, contrairement à l’armée carthaginoise. Les consuls (généraux de l’armée) sont Publius Scipion et Sempronius Longus. De plus, d’après la formula togatorum (réalisé sept ans plus tôt durant la grande invasion gauloise), les effectifs pouvant être mobilisés étaient de sept cent soixante dix mille hommes.
Les forces navales sont trois fois supérieures à toutes les forces carthaginoises et sont de meilleure qualité.

La stratégie romaine repose sur plusieurs principes. Le premier repose sur le fait que la flotte carthaginoise est trop faible pour riposter aux forces navales italiques. L’armée punique ne viendra donc pas par la mer. Les romains savent également que Hannibal a formé une armée importante en Hispanie et que celui-ci est téméraire et ne restera pas sur la défensive. Il ne pourra donc venir que par le sud de la Gaule et passera en Italie par la côte.
Les romains divisent donc leurs armées en trois. L’une (sous les ordres de Sempronius Longus) s’apprête en Sicile pour attaquer directement Carthage. Une autre (sous les ordre de Cnaeus Scipion) attend les navires qui les emmèneront en Espagne et ainsi couper la base arrière de Hannibal. La dernière (sous les ordres de Publius Scipion) se dirige vers le sud de la Gaule et a pour objectif d’y stopper Hannibal près de la ville grecque alliée Massalia.

Le conflit

Déclenchement de la guerre

Profitant de sa position de maître de très nombreux peuples ibères, Hannibal dut trancher le litige qui opposait les Turbolètes aux Sagontins. Ces derniers refusaient toute suprématie carthaginoise et s’étaient alliés à Rome. Cette alliance violait cependant les clauses des traités précédents stipulant que les romains ne devaient pas s’ingérer dans tout ce qui se situait au Sud de l’Ébre. De même, Carthage devait stopper toute expansion au Nord de cette frontière. Les romains profitèrent en fait d’une imprécision géographique sur les noms de deux fleuves espagnols pour passer alliance avec les sagontins.

Ayant obtenu l’accord des autres tribus ibériques, Hannibal trancha en faveur des Turbolètes et mit le siège devant Sagonte (Saguntum), la capitale des Sagontins. La réaction romaine fut lente, les différentes factions ayant des objectifs divergents. Une délégation romaine fut finalement envoyée au gérontion pour exiger la destitution du général responsable. Elle fut déboutée par le sénat carthaginois malgré les avertissements de Hannon, adversaire politique de Hannibal.
Après la prise de Sagonte, les romains attendirent le printemps et les élections consulaires pour prendre une décision. Ce furent Scipion et Longus qui furent élus. Leurs visées impérialistes méditerranéennes montrent bien la volonté romaine de déclarer la guerre. Malgré tout, la faction des Fabii (parti agrairien craignant de perdre trop de clientèles car les soldats viennent le plus fréquemment de la campagne) parvint à obtenir l’envoi d’une délégation pour négocier une dernière fois et éviter la guerre. Le sénat carthaginois reçut donc cette nouvelle délégation. Parmi eux, Fabius Buteo, l’un des parlementaires romains, tenta une dernière fois d’obtenir la paix : d’un geste théâtral, il prit dans chacune des ses mains un pan de sa toge et affirma (symboliquement) que le pan de droite contenait la guerre et celui de gauche, la paix ; il ordonna aux gérontes de choisir l’un des pans de cette toge. Ceux-ci refusèrent, repoussé, Fabius choisit alors la guerre.

Comme dit plus haut, le plan de Hannibal était de faire croire le plus longtemps possible aux romains qu’il perdra du temps à prendre l’Hispanie et le Sud la Gaule pour assurer ses communications. Il passa donc deux mois en Espagne en avançant lentement.
Durant le même temps, des émissaires puniques étaient parvenus à faire se révolter les Boïens (peuple celte d’Italie du Nord) ce qui ralentit les préparatifs militaires des romains. Puis, une fois les Pyrénées franchies, il accéléra et arriva à marches forcées au Rhône en utilisant l’or ou la terreur. La traversée des Alpes fut terrible, seuls survécurent vingt mille fantassins et six mille cavaliers.

Les victoires puniques

Après son arrivée en Italie, Hannibal vainquit les romains au Tessin, puis à nouveau à la Trébie. Les celtes du Nord de l’Italie commencèrent à se révolter contre Rome et nombre d’entre eux s’engagèrent comme mercenaires dans les rangs carthaginois. Plus tard, une nouvelle armée romaine tomba dans une embuscade des carthaginois.
Las des défaites, le sénat romain se rallia aux idées de Fabius, dit « le temporisateur » en l’élisant comme dictateur, qui préconisait une stratégie de la terre brûlée. Tout ce qui se trouvait devant l’armée carthaginoise devait être évacué ou détruit. De plus, aucune armée romaine ne devait affronter l’armée punique. Cette stratégie causa un véritable tort aux puniques mais Fabius fut accusé de collusion avec l’ennemi par ses pairs et préféra renoncer à la dictature.
Changeant une nouvelle fois de stratégie, les romains décidèrent d’affronter l’ennemi en les noyant sous un flot colossal de troupes. Ils enrôlèrent pas moins de huit légions et provoquèrent Hannibal devant Cannes. Malgré son écrasante supériorité numérique, l’armée romaine fut encerclée et presque entièrement anéantie. Ne pouvant assiéger Rome, Hannibal partit dans le Sud de l’Italie pour en pousser les peuples et les villes à la révolte contre Rome. Même Capoue passa dans le camp carthaginois.

Les victoires romaines

Malgré toutes ces défaites, les romains refusèrent toutes les propositions de paix que les carthaginois leur firent. Après Cannes, les romains continuèrent la lutte mais en évitant soigneusement toute confrontation avec l’armée de Hannibal. Ils levèrent de nouvelles troupes et frappèrent uniquement leurs anciens alliés passés à l’ennemi. Certaines villes, craignant le châtiment romain trahirent Hannibal à son tour, tendant des embuscades à ses troupes. Petit à petit, les romains réduisirent le théâtre de la guerre d’Italie à la région capouane qu’ils finirent par faire tomber.
Durant le même temps, les légions envoyées en Espagne en avaient chassés tous les carthaginois. Celles envoyées en Sicile avaient pris Syracuse (mort de Archimède) et repris toute le Nord et l’Est de l’île. Les contingents romains envoyés préventivement contre le roi de Macédoine (qui menaçait de s’allier à Hannibal) vainquirent aisément toutes les forces qu’ils croisèrent.
Finalement, le jeune Scipion qui avait chassé d’Espagne les forces puniques revint à Rome, obtint le consulat (alors qu’il n’avait pas l’âge légal) et passa en Afrique malgré l’interdiction du sénat. Terrifiés, les sénateurs carthaginois rappelèrent Hannibal, celui-ci revint pour défendre la cité après avoir passé quinze ans en Italie. Privé de sa cavalerie numide (passée à l’ennemi suite à la guerre civile dans leur pays), Hannibal subit une défaite très serrée à Zama. Sans armées, sans défense, Carthage dut signer la paix. Les conditions furent de vassaliser l’état punique à la Numidie, d’interdire à Carthage d’avoir une flotte de guerre et des éléphants. Ne pas voir de forces armées excepté des milices. Ne pas avoir de politique extérieure autonome. En outre, une indemnité de guerre pharaonique fut imposée à la ville.



Ironiquement, Rome passa durant ce conflit de puissance secondaire à un véritable empire. En effet, cette guerre, bien que l’ayant très fortement éprouvée, lui a donné le contrôle total de l’Italie, de toutes les îles de la Méditerranée occidentale, de la majeure partie de l’Espagne. Ce n’est pas le seul changement, la mentalité même des romains a changé, ils ont adopté les schémas tactiques que Hannibal leur a, malgré lui, enseigné. Les indemnités de guerre et le pillage incessant de toutes les villes prises ont rendu le Trésor romain parmi les plus importants du monde.

Carthage, quant à elle, se remettra très vite de la guerre. Hannibal finira par prendre le pouvoir en tant que suffète et menacera fréquemment les oligarques par des mesures très populaires. Les finances de l’état devinrent exemptes de tous détournements. Sous l’impulsion de Hannibal, l’indemnité de guerre devant être payée aux romains fut payée en quelques années et en une seule fois au lieu des cinquante années. Pour les remercier, mais aussi pour les empêcher de devenir pillards, Hannibal transforma ses soldats en fermiers dans ses propres terres. La terre carthaginoise se couvrit de plantations. Les routes de commerce transsahariennes et atlantiques que seuls les puniques connaissaient apportaient de grandes richesse à la ville.
Finalement excédés par l’attitude populaire de Hannibal, les oligarques se plaignirent à Rome qui se méfiait déjà des rapports épistolaires entre le Barcide et Antiochos III le grand (descendant de Séleucos, diadoque d’Alexandre). Malgré les paroles de Scipion devenu ami de Hannibal, les romains exigèrent alors la destitution du suffète. Celui-ci prit alors la fuite pour éviter toute nouvelle guerre qui serait inévitablement néfaste à Carthage. Il ira en Asie Mineure dans les cours des rois ennemis de Rome où ses ruses et stratagèmes continueront de terroriser les romains. Il construisit des villes (au moins deux dont la capitale arménienne Artaxarta), des temples, des bâtiments publics… Finalement trahi par son hôte Prusias, il se suicida pour ne pas tomber vivant entre les mains des romains.

Bibliographie :
CHRISTOL Michel, NONY Daniel, Rome et son empire, Hachette supérieur, 2007.
BORDET Marcel, Précis d’histoire romaine, Armand Colin, 1998.
LE GLAY Marcel, VOISIN Jean-Louis, LE BOHEC Yann, Histoire romaine, PUF, 2005.

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